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Numéro 10– Décembre 2002 Diego Abad de Santillán En guise de présentation ON nous reproche parfois un certain passéisme, sorte de goût immodéré pour les vieilles lunes ou de passion inconsidérée pour l’inactuel. Admettons-le… et passons. Cette fois-ci, les « modernes » seront servis, puisque non seulement nous réitérons dans l’éternel « rebours », mais qu’en plus, ne reculant devant rien, nous le faisons – et c’est une authentique originalité – sans aucun prétexte, même lointain, d’actualité éditoriale. En effet, le personnage qui occupe ce numéro, Diego Abad de Santillán, demeure, en ce pays, un parfait inconnu. Au mieux, son nom dira quelque chose à ceux qui se sont intéressés d’un peu près à la révolution espagnole de 1936, mais pas davantage. Dans le panthéon d’une histoire ancienne, ils le situeront vaguement quelque part entre Durruti, Montseny et García Oliver, sans savoir même si le type fut chef d’escadron, ministre ou simple combattant d’un rêve exalté. Ainsi finissent les modestes, on ne se souvient pas d’eux. Modeste, ce Diego Abad de Santillán le fut assez. Plus que d’autres en tout cas, qui gèrent leurs faits d’armes comme un fonds de commerce. Les armes, d’ailleurs, ne furent pas son fort. Il leur préférait les livres, et les autres plus que les siens, puisqu’il fut d’abord un vrai stakhanoviste de la traduction. Bakounine et Rocker en espagnol, c’est lui, et c’est déjà quelque chose, surtout quand on passe une bonne partie de sa vie à courir d’un continent à l’autre, d’Argentine en Espagne, en s’arrêtant ici ou là juste le temps de constater que la révolution avance ou recule. Car l’autre caractéristique de ce drôle d’anarchiste fut de bouger, et de bouger avec une telle constance qu’il ne fut jamais dans le champ, mais toujours un peu à contretemps de la photo, ce qui, bien sûr, n’est pas pour nous déplaire. Témoin de première main de ce grand mouvement ouvrier anarchiste – la Fédération ouvrière de la région argentine (FORA) – qui secoua cette tierra de todos dans les années 1920, participant direct de la seconde Association inter-nationale des travailleurs (AIT), fondée à Berlin en 1922, acteur de la Confédération nationale du travail (CNT) et de la Fédération anarchiste ibérique (FAI) dans l’Espagne des années 1930 et de la révolution, le bonhomme avait de quoi raconter. Le long entretien sur lequel s’ouvre ce numéro le prouve assez, et il nous agrée finalement qu’il soit inédit en espagnol et, cela va sans dire, en français. Les lecteurs de ce modeste et passéiste bulletin apprécieront sans doute la faveur que nous leur faisons. Complétant ce témoignage – le contredisant aussi parfois, car telle est notre vocation critique –, on lira une étude de José Fergo sur les « allers et retours » de cet « anarchiste d’entre deux terres », complétée d’un texte de Frank Mintz sur le parcours intellectuel, non exempt de contradictions comme on le constatera, de ce libertaire «entre doute et méthode ». Le tout s’achèvera sur quel-ques repères bibliographiques montrant que, si Diego Abad de Santillán, a beaucoup voyagé, il a aussi pas mal tenu la plume. Bonne lecture à vous, et à la prochaine !
Un entretien avec Diego Abad de Santillán ! Mars 1977, Madrid… Les multiples échos
d’une nouvelle « ransition démocratique »,
déjà « modélisée » par ses
thuriféraires médiatiques, peuplaient les colonnes
des journaux et lesécrans des lucarnes. A petits pas, l’Espagne
entrait dans le Grand Marché global. Comme condition première
: la « desmemoria », cet oubli patiemment programmé
d’une ancienne subversion. Comme objectif avoué : la
« ovida », cette adhésion festive aux modernes
valeurs du capital démocratiquement restructuré. Bien
sûr, du fond de quelques impasses, montaient les cris assourdis
d’une possible révolte contre l’union sacrée
post-franquiste et le nouvel ordre marchand et, avec eux, l’illusion
chaotique d’un retour du « rojinegro » à
l’espagnole. C’est dans ces circonstances que revinrent
au pays quelques historiques figures de l’anarchisme héroïque,
dont Diego Abad de Santillán. Il allait fêter ses quatre-vingts
ans et, comme d’autres, il avait envie de raconter. L’homme
nous reçut chaleureusement dans son modeste appartement du
populaire quartier d’Aluche et se prêta de bonne grâce
au jeu de l’entretien. Inédit à ce jour, c’est
avec plaisir que nous l’offrons, en version française,
aux lecteurs d’Acontretemps.
Abad
de Santillán ou l’anarchisme entre doute et méthode
Allers
et retours d’un anarchiste d’entre deux terres
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