Culture, cultures, contre culture
ANER

Écrit en 1975

Nous sommes un certain nombre à avoir renoncé, il y a belle lurette, de nous débattre dans la broussaille verbeuse des"psy", des "socio", des "anti"-je ne sais quoi ! Raison suffisante, pour signaler trois ouvrages d’un jeune universitaire qui, avec modestie mais non sans verve polémique se fraie un chemin à travers la djungle, en suivant quelques idées force claires et en employant un langage parfaitement accessible à des lecteurs, tant soit peu familiarisés avec les sciences humaines.

François Lanlantine se dit élève et ami de Georges Devereux, fondateur de l’ethnopsychiatrie, peu connu encore en France, puisque ses livres n’ont été traduits de l’américain que depuis 1970. L’ethnopsychiatrie, se réclame d’abord du Freud de "Totem et Tabou" puis de Roheim qui, combattant les théories de Malinovski (absence de l’Oedipe chez les peuples mélanésiens), a posé des bases solides pour une approche psychanalytique des faits culturels .

Devereux souligne trois principes fondamentaux de l’ethnopsychiatrie :

I) Tout fait étudié peut être l’objet d’au moins deux discours explicatifs, parfaitement satisfaisants pour l’esprit.

2) Plus une explication est isolée des autres, plus elle fonctionne en autarcie...dans...l’incompréhension qu’il puisse exister d’autres approches qu’elle-même.

3) 11 est épistémologiquement impossible de tenir, à la fois deux discours explicatifs, de lier sans préalable des méthodes d’analyse complémentaires mais distinctes ou, l’on réussit, c’est toujours grâce à des glissements sémantiques,...et à des acrobaties du nivellement qui constituent le climat de la recherche" en sciences humaines d’aujourd’hui. Devereux se prononce donc en faveur de la pluridisciplinarité contre le syncrétisme mystificateur, tel qu’on le rencontre chez les"freudo-marxistes", de Marcuse à Reich, chez les "antipsychiatres" comme Laing glissant progressivement dans une religiosité orientale, ou chez les "Anti-Oedipiens", créant les mythes de la "machine désirante" et du "schizo bienheureux".

Ethnologue, L. dénonce avec ferveur et lucidité les méfaits de la "pathologie de l’acculturation" chez les ethnies que du haut de notre morgue occidentale nous appelons "primitives" et que l’on voit basculer, en quelques années, d’une culture traditionnelle encore cohérente dans la notre, déstructurant à tous les niveaux. Dans la ligne des travaux de Roheim et de Devereux, il constate l’existence de "psychose ethnique", chez des sociétés gravement malades et foncièrement pathogènes.

En ceci, les ethnopsychiatres se séparent des freudiens Orthodoxes pour lesquels il n’existe de névrose et de psychose qu’individuelles, la société étant constituée d’une juxtaposition d’individus, se débattant chacun avec son destin pulsionnel personnel. Mais ils se séparent tout autant des culturalistes américains qui, de terrain ethnologique en terrain ethnologique, dressent le catalogue des comportements humains possibles dans la diversité illimitée des milieux, chaque comportement, aussi aberrant qu’il paraisse, étant déclaré normal du moment qu’il est admis par le consensus d’un groupe donné.

Finalement, les premiers, à travers leur pessimisme (partagé par le Freud vieillissant) et les seconds par leur optimisme aboutissant au même résultat : l’individu n’est normal que pour autant qu’il s’adapte au milieu dans lequel il est appelé...ou condamné à vivre. celui qui n’y parvient pas, se retrouve aussitôt classé parmi les malades selon un code rassurant pour la société et autorisant toutes sortes d’interventions médicales ou sociales répressives.

La culture et les cultures

Ethnologue

et psychiatre, à la fois, Devereux possède une expérience trop précise et des souffrances des véritables malades mentaux et des aspects pathogènes des cultures, pour consentir à confondre pathologie individuelle et pathologie collective. Selon lui, il s’agit de distinguer nettement entre les cultures, avec leurs tendances "dysfonctionnelles" multiples pouvant aller jusqu’à l’autodestruction, et la culture, structure mère, véritable matrice d’humanisation, au sein de laquelle l’enfant entre en relation avec les humains, devient un adulte, capable d’aimer de travailler. (Freud).Le contexte de la culture comporte inévitablement un minimum de "déplaisirs" sans lesquels aucune cohabitation humaine n’est réalisable. La répression irréductible des pulsions est source de névroses "normales" ,mais cela favorise en contre-partie, certes, le structuration d’un Moi autonome, créateur et capable de s’opposer, de critiquer et de vaincre les contraintes sociales. Lorsque cette structuration humanisant subit de distorsions graves, lorsque la communication entre individu s devient impossible et se détériore la parole, il y a maladie, quelque soit le contexte culturel particulier et quelle que soit la tolérance sociale à la déviation ou sa récupération par le sacré (chez les chamans par exemple)

Par contre, le refus ou l’incapacité d’un individu de s’adapter à une culture pathogène, loin d’être "régressive" comme le prétendent les freudiens ou « pathologique", selon les culturalistes, paraît aux ethnopsychiatres comme saine ou même thérapeutique en tout cas susceptible de déboucher dans des formes de révolte dynamisantes et pour l’individu lui-même et pour des groupes plus ou moins élargis.

Les trois voix de l’imaginaire

Fidèle à la thèse que la culture ne connaît qu’un nombre restreint de"matrice", de comportements possibles ; L.se donne pour tâche dans son ouvrage de 1974, de ramener à trois voix (ou voies...) les ruptures possibles que peut accomplir l’imaginaire individuel d’avec une culture ressentie comme malade et pathogéne.I1 constate que sous tous les soleils, par des temps de crise de mutation profonde, de déstructuration sociale, des hommes et des femmes ressentent la société comme radicalement pernicieuse insupportable et digne de rejet. Ils y répondent par des rêves plus ou moins éveillés et des fantasmes ...En empruntant spontanément la voie des symboles (clarté après la nuit, vivre debout après avoir vécu courbé.... et des mythes ancestraux et universels de la fraternité entre les hommes, l’Harmonie finale rêvée rétablira l’Harmonie originelle du Paradis perdu, (le loup paît auprès de l’agneau...).

Cherchant à cerner le "moule" dans lequel se coule cette rupture imaginaire d’avec les cultures malades, ces formes sous lesquelles le rêve plus ou moins éveillé devient "rêve agi", Laplantine décrit trois "voix" ou voies fondamentales :

I) L’attente messianique, (ou millénariste) qui est la réponse sociologique normale d’une société menacée du dedans ou du dehors dans ses fondements : des foules exploitées, assoiffées d’absolu et de justice sociale se rassemblent autour de grands prophètes ou de petits illuminés en transformant leur désespoir en espérance. Les images de l’Age d’or, les mythes dynamisants directeurs, projettent loin en avant la réalisation des "lendemain qui chantent", tout en appelant souvent à un "retour aux sources". La lutte pour un monde "tout autre" sera longue et douloureuse, les sacrifices seront innombrables mais la fraternité entre les combattants préfigure dès à présent le nouvel ordre à venir.

2) La possession, elle, ne consent pas à attendre des jours meilleurs. A un "tout autre", à l’alternative lointaine, elle préfère l’alternance immédiate des bonds éphémères hors de la réalité insupportable, quitte à, retourner, le lendemain, sous le joug de la réalité détestable. Elle cherche donc d’échapper, passagèrement, au flux de l’histoire, par des conduites extatiques "extravagantes", bruyantes, paroxystiques. Nous assistons alors à toutes les formules du "monde à l’envers" de la fête, le carnaval ou le sabbat, les rituels de possession multiples, ou plus près de nous, les réjouissances du "Paradise now, les happenings, et à la limite les tentatives de fuite dans la drogue dans la popmusic ou dans la « groupite », (qui nous envahit à partir des USA).

3) L’utopie enfin est la solution perfectionniste par excellence. Si l’attente messianique et la possession sont essentiellement mobiles, universalistes, nourries de mythes et de symboles toujours ambivalents, foisonnants et "polyvoques", les "utopies" sont créées une fois pour toutes et dans toute leur perfection par des "bricoleurs géniaux" n’ayant pour seul préoccupation que le bonheur égalitaire, l’ordre parfait, l’absence de tout imprévu de tout trouble, de toute fantaisie. Calculée, mathématisée, objet d’une législation omniprésente "assurance tout risque" l’utopie réduit la sexualité, cette pourvoyeuse impénitente en surprise, en passions et en imprévus, à la partie congrue de la procréation réglementée et placée sous haute surveillance Depuis Platon jusqu’à nos jours, les utopistes rêvent à un citoyen - tâcheron, dès son enfance, vivant hors du temps et des évènements, dans une sorte d’île abstraite, où sont abolies toutes les interrogations, où tout devient "univoque", à sens unique, et fermé au "courant d’air de la vie. L’utopie, prenant en toute chose le contre-pied d’une société schizophrénique serait, à en croire L. (et G. Lapouge que L. cite abondamment) tout aussi schizo que celle-ci sinon davantage.

Pièges

A première vue, ces trois concepts apparaissent éclairants et opératoires. A y regarder de plus près, ils s’avèrent d’une fragilité regrettable. Va encore pour le messianisme-millénarisme, puisque ces termes ont été élargis à l’excès, depuis fort longtemps, L. a certainement raison de faire des rapprochements entre les formes religieuses du messianisme et les formes du militantisme politique moderne prenant la relève de dogmes dévalués. "Si le projet messianique est ambigu par son fondement même, i1 est néanmoins capable dans des circonstances historiques précises de porter l’espoir révolutionnaire de populations entières...et de faire triompher cet espoir...Cette densité émotionnelle qui atteint dans certaines circonstances une force fulgurante (La commune de Paris ou la Révolution espagnole)..est autrement plus opératoire et efficace que celle des politologues...

"Ce qu’il dit du rôle du ehef charismatique et de l’Eglise ou du parti qui ont "toujours raison", et de la "foi" des messianistes excluant les "hérétiques", parait tentant, même si ces analyses ne recouvrent pas suffisamment l’ensemble des communautés que L. regroupe sous cette première "voix" de l’imaginaire. Il pose d’ailleurs une question intéressante qu’il laisse, sagement ouverte : "étant donné que l’attente messianique surgit toujours dans des conditions de coopération cordiale, d’affectivité entre "frères" ou "camarades" (qu’il s’agisse aux deux extrêmes de communautés puritaines sectaires ou bien libertaires absolues...) ce contact direct des uns avec les autres, peut-il être maintenu dans un messianisme de masse" ou celui-ci risque-t-il d’être récupéré par une organisation structurée et impersonnelle, coiffant les "camarades" dispersés. Question judicieuse certes, mais qui sous-entend que de petits groupes messianiques (de combien de membres ?) échapperaient à la sclérose institutionnelle. On sait ce qui en est, en réalité !

L ; a beau répéter, ici et là, que messianisme et possession se chevauchent (...et l’utopie, donc) il a beau affirmer qu’il n’est pas historien, il n’empêche qu’il nous manque ici l’étude longitudinale d’une communauté messianique significative, étude, selon nous, rendrait évidente le va-et-vient presque continu, au sein même des mouvements messianiques, de tendances extatiques" et de tendances"utopiques", dont les échecs successifs ou simultanés donnent lieu à de nouveaux appels de "retour aux sources" suivis d’une dynamisation du mouvement initial...ou de sa mort par sclérose, faute de s’être réveillé .

Mais, il est vrai, le choix des deux termes de "possession" et "d’utopie", l’un élargi à l’excès (...les sentiments de culpabilité de l’ethnologue ??) l’autre rétréci jusqu’à la caricature, se révèlent comme des pièges et risquent de figer une interrogation prometteuse. Puisque L. ne cache pas ses sympathies pour les conduites de démesure et les démarches d’extase ; pourquoi cherche-t-il à presser coûte que coûte dans le même lit de Procuste des faits culturels aussi éloignés les uns des autres que les rituels thérapeutiques de possession et d’ adorcisme, "Paradise now"de mai 1968 et la mystique hébraïque (ses commentaires du psaume 73 et de" l’onction" des prophètes prêtent à sourire...) Plus fâcheux encore sa présentation du pentecôtisme, où l’ethnologue (réparateur malgré lui ?) rejoint le catholique français "ne voyant que du feu " devant un certain protestantisme non institutionnalisé. Les"Assemblées de Dieu" qui selon lui" commencent à se propager en France"... ont en réalité quelque cinquante ans et se sont déjà sclérosées largement ; quant au "parler en langues", il n’est pas vrai que les individus parlent dans une langue qui leur est absolument inconnue, mais pourrait faire, parait il, l’objet d’une traduction s’il se trouvait là un ressortissant du pays où elle est parlée". En réalité, la "glossolalie" (qui a d’ailleurs fait l’objet d’une étude de Pfister,au début de la psychanalyse,) est une langue purement extatique, relativement structurée, ne disposant que d’un vocabulaire d’adoration et de louange et susceptible, exceptionnellement de traduction par l’intermédiaire d’un "parleur en langue" présent. (et ce depuis les origines du christianisme)

Quant aux "utopies", parmi lesquels il range le stalinisme soviétique et le fascisme ,ce qui nous paraît tout à fait abusif, L. cale devant l’impossibilité de mettre sous ce même "chapeau" la joyeuse Abbaye de Thélème de Rabelais pour ne rien dire de l’Harmonie de Fourier, ce Fourier, est d’autant plus embarrassant qu’il a bien un côté, calculateur et légiférant échevelé...mais son ouverture à toutes les passions et aux expériences libératrice du dehors, utopiques au sens étymologique du mot (qui n’existe nulle part) ne se laisse évidemment pas étouffer sous la formule choisie par L. ni non plus les libertaires, les situationnistes et autres tenant de la contre-culture. L. expédie un peu vite parmi les gens piégés par leur désir de prendre le contre-pied de la culture (ou du bordel) de papa (possédés + utopistes à la fois !).

Nous ne pouvons pas nous arrêter plus longuement à l’analyse ethnopsychiatrique de ces trois "voies" de rupture d’avec une société malade et à la "culture du psy" qui selon L. est en train de prendre la relève de la culture du mythe. I1 s’agit là de pages un peu catholiques mais suffisamment stimulantes pour que nous renoncions à les présenter en quelques phrases réductrices. Le foisonnement des interrogations et la fragilité même des réponses proposées ou simplement entrevues, indiquent l’énorme bonne volonté de L. et son implication personnelle en tant que chercheur qui se méfie autant de son prétendu savoir que de la mascarade de certains intellectuels, prétendant ne rien savoir du tout..."Il est malaisé, confesse-t-il, de tenir les deux bouts de la chaîne : nécessité de la critique la plus radicale , mais aussi limites de cette critique, c’est à dire de toutes les techniques qui s’appellent "socio" ou "psy" quelque chose. Ethnologue ayant vécu l’expérience décapante du travail sur "le terrain" et psychanalyste ayant fait son inventaire" sur le divan", L. sait combien il est difficile de se reconnaître comme membre (...et bénéficiaire ?) d’une société malade, il connaît les obstacles quasi insurmontables s’opposant au franchissement des limites d’un conditionnement culturel dès qu’on souhaite pénétrer à fond une culture étrangère...Il sait que chacun d’entre nous, refusant un mythe donné, est prompt à fabriquer son propre "contre-mythe" (sans jamais l’admettre, bien sûr) puisqu’on tient à se croire "objectif" et "scientifique")...I1 connaît aussi les ruses de notre inconscient qui mobilisent devant l’angoisse, ses mécanismes de défense en niant les conflits en retournant en leur contraire...et par exsemple les idéologies contemporaines du plaisir.

Si donc nous avons cherché querelle à L. sur certains points de son analyse (et de son information) c’est dans l’espoir que, jeune universitaire, il ne se contente pas d’avoir trouvé un si bel "os à ronger". Hélas, son dernier livre, "La culture du Psy" ne nous rassure qu’à moitié, tant il s’y contente de redire, ce qu’il avait dit (souvent mieux) auparavant. Aussi en retiendrons-nous seulement le dernier article « les idéologies contemporaines du plaisir".

L. commence par remettre en pleine lumière des affirmations fondamentalles de Freud qui depuis toujours, et à présent plus que jamais, lui ont valu des critiques acerbes :Vivre en société c’est renoncer pour l’homme à la satisfaction première et immédiate, qui est celle du nourrisson glouton, au profit de’ satisfactions substitutives. "D’où la liaison étroite et freudiennement indépassable entre la culture et la névrose. La névrose est comme le négatif de l’aptitude humaine au développement. Elle est universelle, non pas parce qu’innée mais inévitable, c’est-à-dire réactionnelle à une frustration et au refoulement sur lesquels s’édifie la vie en société".

Comme on voit, L.ne cherche pas à flatter ceux qui, avec Vaneighem réclament "un déchaînement sans restriction du plaisir"...(position sympathique mais socialement suicidaire,dit-il) mais il prend ses distances également par rapport aux "libéraux" et aux "révolutionnaires" prêchant la soumission à l’Histoire (sous-entendu au progrès) et ajournant, indéfiniment, la satisfaction du besoin de chaque homme de jouer, d’aimer et de faire la fête.

L. passe rapidement sur les trois prophètes de la contre-culture qui ont nom Reich, Marcuse et Deleuze. I1 constate que l’apostolat reichien (et avec lui les techniques de groupe qualifiées de "bio-énergétiques") culmine dans une véritable sacralisation du sexe et de "l’orgone" qui tient dans la doctrine de Reich la place exacte tenue par Dieu dans les grandes religions traditionnelles... Certitude absolue qui a au moins le mérite d’être très déculpabilisante". Chez Marcuse, il dénonce une "dynamique du plaisir (qui ne peut) pour ainsi dire se conjuguer qu’au féminin, dans la tendresse, la douceur, l’euphonie appolonienne, le dépassement de l’opposition entre l’homme et la nature, le sujet et l’objet, bref dans la proximité et plus encore dans la fusion avec tout ce qui rappelle les expériences les plus archaïques de notre existence de nourrisson au contact de la mère qui pour Marcuse est toujours « bonne". L"homme nouveau marcusien va enfin pouvoir se substituer à l’ordre nouveau "de la rédemption de la mort".

Quant à Deleuze ,il poursuit l’escalade dite "freudo marxiste" en proposant" comme but de schizophréniser la société (comme si elle ne l’était pas encore assez) afin d’abattre le capitalisme : d’où les "machines désirantes" mues par la jouissance que procurent la psychose et l’inceste,...contre la "pourriture oedipienne" de la psychanalyse.
Ces trois théories ont en commun la tentative de dresser face à une société aliénante et polluante, incapable de satisfaire les exigences élémentaires des individus et s’ingéniant de palier à ses propres effets pathologiques par la création de "techniques" de l’évasion et d’oubli... les systèmes de rupture délibérée dites "anti-organisationnelles","anti-hiérarchiques" et "anti-répressives"...ramenant la révolte politique à la revendication psycho-affective du bonheur, du "droit au sexe etc.

L. démontre dans cette recherche du plaisir, à tout prix un ritualisme collectif fondé sur des conduites d’inversion, de transgression de la loi et de l’interdit. Visée utopique, refus global du temps, de l’histoire et de la mort....excluant tout le reste de l’humanité et en particulier les grands groupes institués (Eglise, partis, système...). A la limite, par le moyen de la drogue, le refus devient infiniment plus global, encore au-delà des limitations au désir infini de la jouissance que l’on rencontrerait encore dans le plaisir sexuel. Rien ne limite l’orgasme toxicomaniaque : alors on riposte" à tout ce qui est de l’ordre de la loi et de la contrainte par la transformation de son propre corps par un flash voluptueux, sans commune mesure avec les menus plaisirs de la cité".
Les idéologies actuelles alimentent, par ailleurs, un véritable mythe de l’enfant (contrairement aux sociétés traditionnelles, tant vantées, qui attribuent une place privilégiée aux vieillards, dépositaires du savoir de groupe et d’autorité). Etre d’éternels enfants "authentiques" "spontanés" "créatifs". c’est à dire se maintenir à un stade d’avant le refoulement, en plein "principe de plaisir", en niant, en passant l’agressivité et la voracité de l’enfant, bien sûr.

Quant à la "nature", elle est réputée, toujours "bonne" pacifiée, non-conflictuelle. Le retour à cette nature (maternelle "univoque") garantit l’harmonie intérieure, loin des heurts sociaux maléfiques. Paradis perdu et retrouvé où s’accomplit la communication vraie, par la musique, la participation à des groupes informels, la création de "lieux imaginaires d’avant la répression, l’institution, la loi et la mort"

Libération du désir culture du Psy ou bien...?

L. admet "qu’un processus dévitalisant et anti-orgasmique a été enclenché en Occident, dont les origines remontent au platonisme lui-même et trouve son triomphe dans le rationalisme cartésien". Tendance typiquement grecque (e t non judéo-chrétienne !) de la négation de l’instinct ou plutôt de son déplacement de bas vers le haut, à laquelle répondent les jeunes contestataires par des entreprises par des "rituels obsessionnels et compulsionnels, des frénésie ; vides auxquels il manque - la joie de partager un symbolisme collectif qui nous fonde en tant qu’êtres de culture. "Ces rituels représentent des demi-démarches, des demi-contestations, des ripostes à la fois thérapeutiques et pathologiques à une condition sociale devenue débilitante". Face à eux et tout aussi stérile est le mouvement réflexe du talmudisme psy, ayant d’avance réponse à tout et vidant l’enfant avec le bain fourre-tout de la "régression".

L. en ethnopsychiatre, conteste la pessimisme freudien selon lequel nous serons nécessairement de plus en plus malheureux en société, comme il refuse les conséquences éminemment logiques qu’en tirent les néo-psychanalystes britanniques : puisque la réalité c’est l’anti-plaisir, fuyons la réalité. Il souligne, à très juste titre, selon nous, que la réalité n’est frustrante qu’en fonction de nos propres fantasmes (découverte freudienne fondamentale après une première période où l’on mettait toutes les névroses sur le compte de traumatismes réellement subis).

Ce qui, pour L. fait question dans la recherche frénétique du plaisir contemporain",c’est son caractère volontariste, subjectiviste." "On croit, ou on fait semblant de croire, que la vie en société est susceptible de s’organiser autour d’un véritable " monisme du désir ". Or "le désir, qui est toujours désir de plaisir, ne se construit qu’en rencontrant un second terme qu’il faut bien appeler la loi. "Freud, devant le problème de l’affrontement entre le moi et le ça, dit que le ça doit céder, les freudo-marxistes comme Marcuse affirment : la réalité doit céder en faveur du ça. Or il nous faut trouver un troisième terme entre les excès de culture (le pessimisme freudien) et le trop-plaisir "déculturant", entre la répression exorbitante et la fuite devant la réalité, entre, à la limite, la société militariste spartiate et le marasme cathartique des drogués ou des adeptes d’ascétismes orientaux.

Libérer totalement le désir enchaîné, cela veut dire rien de moins que d’abolir les mécanismes de défense du moi, c’est s’installer dans la psychose qui quoi qu’en fabulent les Deleuze et Cie, est un état de souffrance, d’angoisse et de non-plaisir de mort vivante, hors de toute communication possible.

Maintenir l’enfant dans un état de satisfaction totale, c’est,"à partir d’un certain moment, induire en lui un état de dépendance psycho-affectif et encourager, en l’empêchant de grandir, sa soumission à l’autorité, quelle qu’elle soit, son inaptitude à critiquer et à prendre de la distance par rapport à ses éducateurs. Une telle pédagogie est éminemment castratrice". Enfin, si tous les auteurs, prônant la primauté du plaisir et la possibilité de parvenir à une société pacifiée et euphorique, mettent en accusation la frustration et la répression sexuelle accrue, spécialement chez les adolescents, n’a rien modifié, sinon en l’aggravant, la tension qui existe entre la jeunesse et la société des ainés, et on peut en dire autant de l’effacement manifeste de l’autorité paternelle.

L.prétend que nous souffrons en fait à présent, d’une frustration beaucoup plus forte que celle qui nous était imposés, hier : "On peut toujours se battre contre son père, rivaliser avec lui, le vaincre, mais contre d’immenses machines vécues au niveau de l’inconscient beaucoup plus comme une mère toute-puissante, que comme un père castrateur, que peut-on faire si ce n’est fuir une réalité devenue cauchemardesque ?
Face à notre culture, mais aussi nos tentatives de contre-culture, qui, entretiennent l’idéologie de la dépendance psycho-affective et cherchent à masquer les vrais problèmes par le recours aux fantasmes de fusion, de l’invulnérabilité et de l’achronicité, L. réclame une restructuration de fond en comble de nos institutions et de nos manières de vivre, la recherche de solutions politiques humainement viables. Non pas une fuite dans l’imaginaire, vers les formes les plus archaïques de la pensée magique qui affirme que "tout est possible, mais l’imaginaire confronté sans cesse à la réalité, dans la passion de créer, la passion d’aimer, la passion de jouer. C’est l’accès à la fantaisie sociale, au jeu, au comique, à la joie partagée qui sont le propre des sociétés bien portantes comme des individus qui les composent. C’est la rencontre conflictuelle et inattendue avec les autres la surprise, la dissonance intérieure ...qui font tout le prix de l’existence humaine, sa grandeur, sa saveur. Le bonheur viendra par surcroît".

L.ne joint pas de mode d’emploi à son projet de "société viable". Ce n’est pas son affaire ! Ou plutôt de quoi écrire un livre plus élaboré que les précédents.
ANER