Il n’y a pas d’empire américain
L’hyperpuissance des États-Unis est indiscutable. Ce qu’on
appelle la morgue américaine est une manière polie de dire que
Washington considère ses traités et promesses comme des chiffons
de papier.3 Dans le domaine mondial, le concert dissonant des nations a fait
place à un troupeau de chefs d’État, autour desquels diplomates
et militaires américains courent avec la résolution d’un
pit-bull, poursuivant toute brebis qui aurait des velléités
de jouer au voyou. De nouvelles bases militaires sont en construction aux
quatre coins de la terre et le gouvernement des États-Unis s’apprête,
avec sa guerre des étoiles, à devenir le maître incontesté
de l’espace, comme jadis les Anglais l’avaient été
des mers.
Cette force de frappe, dotée d’une supériorité
militaire à laquelle rien de comparable ne s’oppose, est en réalité
source de frustration. Du côté du peuple américain, on
y consent sans enthousiasme, en réaction à des situations critiques.
En Europe, elle est admirée, mais ni crainte ni aimée. Au demeurant,
la suprématie militaire et la succession des « victoires »
unilatéralement proclamées masquent une capacité d’influence
réduite.4 Un vieux proverbe dit que la guerre est gagnée par
celui qui abandonne le dernier ; or, proclamer sa victoire alors que l’adversaire
ne s’est pas rendu permet au cow-boy d’abandonner la poursuite
des hostilités sans perdre la face.
Le monde du xxie siècle balbutiant est sous le règne de la ploutocratie
et non sous celui des États-Unis, qui n’en sont que le fer de
lance. Rien n’est plus dramatique que de se tromper de cible et confondre
l’adversaire avec l’ennemi. La culture dite de masse est populaire
dans le monde, même si elle n’y suscite pas l’adhésion,
mais elle n’est ni américaine ni turque, à l’instar
de ces émissions télévisées latino-américaines
qui se diffusent sur tout le continent nord-américain mais dont on
ne saurait dire à quel pays particulier elles se rattachent. Sans doute
le lieu de sa production n’est pas indifférent pour en comprendre
certains aspects, par exemple ses systèmes d’autocensure, mais
l’influence est aussi réciproque ; et les règles imposées
par la recherche du profit, par exemple le recours au spectaculaire, à
l’information de proximité, à la personnalisation, font
passer au second plan les structures profondes d’un événement
ou d’un pays. La République américaine possède,
sans aucun doute, la plus grande capacité de nuisance au monde, mais
ce n’est pas la bannière étoilée, ce sont CNN ou
Microsoft qui sont omniprésents dans la marchandise, dans les communications,
dans les idées, dans la langue même et jusque dans le concept
à la mode d’interactivité, qui consiste à nous
plier à leurs logiques. Si le nouvel ordre mondial se chante sous la
baguette d’un petit maestro texan, la partition musicale a été
orchestrée dans les sphères de la finance et des multinationales.5
Si l’image suggère les traits simplets d’un Disneyland,
l’univers des transnationales n’évoque pas la musique des
sphères célestes : c’est le capharnaüm. Les mondes
de la finance et du business ont modelé le nouvel ordre mondial, par
l’entremise de l’administration américaine, selon le scénario
du Léviathan de Hobbes, basé sur la terreur, plutôt que
sur celui de Locke, fondé sur le droit et les institutions internationales
: les États-Unis ont récusé celles-ci à partir
de 1991.6 Hommes d’affaires et grand patrons sont trop engagés
à grignoter les concurrents et les États, lesquels en nombre
croissant rétrogradent à des positions subalternes, pour cultiver
quelque nostalgie de l’ère des arrangements négociés
entre capital et travail. La rupture avec l’ordre démocratique
est définitive. Dont acte.
N’en survivent que des procédures formelles et des gesticulations
spectaculaires.
Et ce principe espérance dont parlait Ernst Bloch.
Cette dernière affirmation utopiste, étudiée ailleurs,
entretient une relation dialectique avec le constat pessimiste que l’on
vient de faire. Ce rapport apparaîtra après un audit sur la gestion
du discours politique, et il éclaire le cynisme fataliste mentionné
dans l’introduction.
La guerre de basse intensité : la nouvelle vision
militaire
Les septembriseurs 7 islamistes ont mis au grand jour ce que le monde occidental
vit sans le savoir depuis quelques années, et que les militaires désignent
comme une guerre de basse intensité, c’est-à-dire généralement
menée sous la forme de coups fourrés et d’actions clandestines,
mais avec des éclats spectaculaires et momentanés, comme dans
les attentats, et des phases de guerre chaude comme en Afghanistan.
Qu’il me soit permis d’évoquer un souvenir d’enfance.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, je me trouvais dans une ville fréquemment
bombardée. Nous vivions dans un climat où prédominaient
d’importantes mesures de sécurité : des bâtiments
étaient interdits au public, certains lieux ne pouvaient être
photographiés et, surtout, un important couvre-feu était imposé
à l’ensemble des citadins.
Les dispositifs sécuritaires sont apparus en France depuis les attentats
parisiens d’il y a quelques années. Ils sont tantôt dissimulés,
comme les caméras de surveillance et les diverses technologies de contrôle
à distance, tantôt signalés par des carences telles que
l’absence de poubelles dans les gares et les métros. Ils sont
parfois extériorisés de façon spectaculaire, par la multiplication
des patrouilles ou les énormes déploiements policiers lors de
manifestations sociales et par l’escalade technologique des instruments
de combats de rue. Ce qui n’est pas sans rappeler qu’une guerre
mondiale fut jadis préparée sous le slogan publicitaire : «
La mobilisation n’est pas la guerre. »
Ce flicage général est l’indice de cette « sale
guerre » désignée par l’euphémisme de «
mesures de sécurité », et qui refuse de dire son nom.
Ce refoulement collectif signale un glissement géopolitique qui demande
à être décrit et commenté.
Les lutteurs grecs pratiquaient une gymnastique préparatoire au combat,
l’agonistique. Les sociologues ont repris le terme pour désigner
un rapport de lutte, notamment de lutte pour la vie. Le nouvel ordre mondial
est un système agonistique. Ses acteurs véritables sont les
institutions au service des classes
dirigeantes : conseils d’administration, groupes de pression, mafias,
appareils étatiques, classes ascendantes et nouveaux prétendants
au pouvoir. Dans le cas présent, puisqu’il s’agit de la
vie des marchés financiers et des multinationales, les retombées
dramatiques sur les personnes de cette guerre impitoyable sont mises aux oubliettes
: il n’est même pas question de dommages collatéraux.
Les avertissements permanents destinés à la population et les
opérations de guerre-éclair permettent la captation des ressources
nationales par le complexe militaro-industriel, sans restriction sur les dépenses.
Cette guerre non déclarée enferme le citoyen dans une logique
dualiste, parce que s’il refuse de se rallier, il est considéré
comme un ennemi. Car le système agonistique est aussi totalitaire.
Il ne peut tolérer une quelconque contestation, menaçante ou
non, et il lui faut toujours repérer quelque ennemi pour mobiliser
ses troupes. Quand bien même des réseaux tels qu’Al Qaida
seraient dissous, il lui faut trouver de nouveaux représentants du
Mal.
L’avenir peut lui en offrir l’occasion. La guerre amorcée
par des communautés islamistes despotiques n’est pas la seule
conflagration qui menace la planète. Une marée permanente de
protestations, une contestation rampante et déterritorialisée,
rhizomatique comme aurait dit le philosophe Deleuze, s’oppose au capitalisme
transnational. Les protestations spectaculaires qui pistent les points de
rencontre des dirigeants mondiaux témoignent de ce nouveau climat de
luttes effervescentes. Et même parmi les alliés de l’Amérique,
il s’est trouvé des milieux qui, tout en déplorant le
carnage odieux de New York, ont applaudi le coup.
D’autres lectures sont possibles, bien sûr. On peut contester
tout caractère commun entre les revendications basques et celles d’Al
Qaida et déplorer cet amalgame. Ces épisodes peuvent être
considérés dans leur spécificité ou leurs traits
communs. Une multiplicité de perspectives s’impose inévitablement,
mais dans la mesure où la contestation remet en cause l’ordre
capitaliste, on ne peut négliger ses aspects globaux.
Et c’est là que l’expression « guerre de basse intensité
» peut faire illusion, en dissimulant qu’elle est un phénomène
social total, qui affecte l’ensemble de la société, y
compris son système de connaissance, sur laquelle elle impose aussi
un black-out. Cet euphémisme – une guerre, oui, mais de basse
intensité, n’est-ce pas ? – entretient la fiction d’une
logique de paix alors que chacun sait qu’on est en guerre. Le citoyen
est mis à l’écart, guerre et politique étant métiers
de professionnels ; l’état de siège est permanent, mais
subliminal ; le travailleur vaque aux affaires courantes du capitalisme, chacun
restant mobilisable à volonté.8 Dans cette fracture du psychisme
collectif s’échafaudent la pyramide d’un pouvoir mondial
et son système de répression.
La mise en valeur de la répression par l’euphémisme «
guerre de basse intensité » entraîne le passage d’un
champ militaire visible à un lacis de réseaux plus ou moins
secrets et de polices transnationales. Il ne suggère que trop le trinôme
« police-société-terrorisme » que subissent tant
de pays et qui est bien lâchement consenti par les honnêtes gens.
Pendant que les démocraties dorment, les dirigeants font leur sale
besogne à l’extérieur, ou la laissent faire en toute impunité,
encourageant les trafics et le terrorisme quotidien au nom de la raison d’État.
La voix démocratique était déjà bien ténue
: la sanction que représente la non réélection d’un
dirigeant ou d’un parti politique ne suffit guère à effacer
les dégâts qu’ils ont pu commettre par les bons soins des
services secrets et autres préposés aux ex-colonies. Après
tout, Ben Laden n’est que le dernier Frankenstein procréé
par la CIA et les services secrets pakistanais.
À l’intérieur du pays, la répression du pseudo-terrorisme,
au lieu de celle des vrais responsables, contribue à restreindre l’expression
de chacun. Son premier effet est ce cynisme, déjà évoqué,
qui consiste à se claquemurer dans une alternative quand bien d’autres
possibilités existent.
Les lumières sont camouflées. Le climat sécuritaire a
instauré, pour reprendre l’expression de Patrick Tacussel, un
véritable « couvre-feu intellectuel » dont on peut percevoir
des symptômes. La mise en place de l’ordre capitaliste a commencé
par vomir, des décennies durant, sur les intellectuels engagés
; ils sont aujourd’hui remplacés par les nouveaux ayatollahs
du management politique. C’est ainsi que la primauté des commentaires
sur les attentats du 11 septembre 2001 a été confiée
à Bush et à Ben Laden, tous deux plus ou moins liés au
monde pétrolier, qui se vouèrent au ministère de Grand
Exorciste.
La dénonciation des nouveaux démons, urbi et orbi, a rouvert
la chasse aux sorcières. Les services de sécurité publics
et privés dressent fébrilement les listes de tous les terroristes
en herbe de la planète.
Ces nouveaux recours aux catégories binaires du bien et du mal manifestent
le lien entre guerre et magie. Et le retour spectaculaire de ce système
de croyance traduit des habitus ancrés sur un autre appareil, l’État.
L’État aujourd’hui : changement de fonction ou de nature
?
Les enragés de la privatisation
L’administration et la représentation du politique se métamorphosent,
entrent en crise, et se voient apostrophées par des idéologies
contradictoires. La bataille au sujet de l’État s’est déroulée
sur un double front au cours du xxe siècle finissant. Un premier clivage
oppose la pensée néo-libérale, adepte d’un dégraissage
des institutions publiques, et cette fraction de la classe politique qui se
prétend gestionnaire de conquêtes sociales qui ont été
arrachées de haute lutte par le monde du travail. Un second front,
très différent, oppose défenseurs de la souveraineté
nationale et partisans d’instances internationales supérieures
qui placeraient les appareils étatiques dans une position de plus en
plus subalterne.
La marche forcée vers la mondialisation, sous la houlette états-unienne,
a suscité le retour en force de l’idéologie libérale.
Le retrait de ceux que l’on considère comme les représentants
légitimes des nations est d’ailleurs réclamé par
les porte-parole des dirigeants d’entreprises. Le secrétaire
au Trésor américain a été jusqu’à
suggérer « que les sommets du G7 n’avaient aucune utilité
et qu’il
fallait laisser jouer librement les marchés sans se mettre en tête
d’organiser une coopération financière internationale
».9 L’institution a liquidé certaines de ses fonctions
et changé dans ses formes. Les privatisations se succèdent.
Les services sociaux sont progressivement démantelés. La main
invisible du marché a rempli les portefeuilles des couches opulentes
de la société et vidé les poches des plus pauvres. Son
autorégulation disperse les nappes de pétrole sur les côtes
bretonnes ou sur celles des îles Galapagos.
La volonté des élites dominantes de privatiser tous les biens
de la création, depuis les gènes humains jusqu’aux œuvres
de l’esprit, en attendant de le faire pour l’eau, la lune et le
soleil, aboutit progressivement à une déterritorialisation que
Jacques Guigou a bien décrite dans le cas français :
« Le caractère de nécessité et d’urgence
que prend pour l’État la réforme de ses institutions montre
le niveau d’intensité de la crise de l’État. Il
essaie de se restructurer, de se réaménager, mais il le fait
dans la douleur et souvent dans la catastrophe car il maîtrise mal les
voies de dépassement de la contradiction entre sa forme ancienne d’État-nation
et la réalité de ses derniers développements sous la
forme d’État-réseau. Si l’État-nation imposait
son centralisme républicain sur le modèle en étoile des
chemins de fer, avec pour finalité le même service public pour
tous et donc des agents de l’État partout régis par une
règle unique correspondant à un fonctionnement global, y compris
dans la gestion des conflits sociaux, l’État-réseau déterritorialise
sa présence en fermant écoles rurales, perceptions, bureaux
de poste et hôpitaux de petites villes. Le service doit être maintenu
sans agent de l’État, par télématique et virtualisation.
»10
Les enragés de la privatisation, qui sont souvent de hauts fonctionnaires
11 mais aussi cette cinquième colonne du capitalisme qu’est le
social-libéralisme, dénoncent les fonctions économiques
de l’État, et réclament son démantèlement.
Ils ne lui laissent – mais pour combien de temps ? – que les tâches
de sécurité et de jurisprudence. C’est à ces gens-là
qu’une bonne partie de la gauche et des contestataires envoient leurs
suppliques pour les appeler à la repentance.
La querelle sur le gouvernement de la cité, la perception de ses nouvelles
formes, la réflexion sur sa nature, prennent un étrange éclairage
à la lumière des événements récents. L’école
libérale a révélé son arrogante hypocrisie après
la chute du World Trade Center :
« L’impact des attentats sur une situation économique mondiale
déjà fortement dégradée a fait voler en éclats
les sacro-saints principes de l’orthodoxie financière libérale
et replace l’État et les institutions internationales au cœur
du dispositif d’urgence. Les secteurs d’activité les plus
durement touchés – compagnies aériennes et assureurs –
profitent à plein de cette manne publique. »12
L’administration fédérale et les banques centrales se
sont précipitées au secours des assureurs, mais aussi de bien
d’autres secteurs économiques, sans qu’on ait entendu le
moindre cri de pudeur des défenseurs de l’orthodoxie libérale.
Cette déliquescence des services publics à l’intérieur
du pays s’accompagne d’une seconde crise, celle de la souveraineté
territoriale et nationale. Le gouvernement français, par exemple, n’est
plus l’instance suprême, car dans un grand nombre de sphères,
et notamment en matière économique, la France n’existe
plus que dans l’imaginaire collectif.13 Les richesses sont gérées
au sein de l’Union européenne ; le gouvernement se limite à
régler les conflits d’intérêt à l’intérieur
du pays, à définir les orientations collectives et à
veiller aux applications domestiques des décisions prises à
l’extérieur. La plupart des actes législatifs ne sont
que des applications de règles décidées à des
échelons plus élevés. Les fonctions cruciales lui échappent,
par exemple la surveillance des multinationales, mais il est vrai qu’il
ne les a jamais sérieusement inspectées. Les suppliques en faveur
de l’exception française se raréfient, la suprématie
territoriale n’est plus. On assiste à une déterritorialisation
générale et à un flux permanent de personnes, de marchandises,
d’idées et de décisions. Le débat sur les services
publics se limite malhonnêtement au choix entre une gestion étatique
et la privatisation des services d’intérêt collectif. Jamais
n’a été envisagée une troisième possibilité,
celle de la société mutualiste.14
Faut-il soutenir les doléances de la majorité silencieuse pour
qui l’État se meurt, l’État est mort ? La droite
lui rappelle sa fonction sécuritaire, la gauche ses responsabilités
sociales. Même l’anarchiste Noam Chomsky estime que seul un État
fort peut s’opposer aux multinationales, notamment dans le tiers-monde.
Nos républiques bananières, nos Athènes peuplées
d’esclaves et sans agoras ne témoignent pas d’un organisme
en décomposition ; bien au contraire, l’institution étatique
est si présente dans les esprits que la moindre attaque venue de l’extérieur
voit sortir les drapeaux et que les mouvements de libération armée
n’en sont que des émules, quoi qu’ils en disent.15 Les
idéologies actuelles confondent les formes et fonctions de l’État
avec ce qui fait sa spécificité. On accuse l’État
français de ne plus faire que du culturel : réforme de l’enseignement
avec chaque nouveau ministre, décisions sur les manipulations génétiques,
PACS, soutien des activités artistiques, etc. En somme, l’État
aurait abandonné ses missions essentielles.
Le cas français figure, sans doute, le crépuscule de l’ancien
empire ; mais il est représentatif d’une situation assez générale,
car si Matignon et l’Élysée ont abdiqué certaines
de leurs prérogatives, Washington en fait autant. Sans doute, le président
des États-Unis gesticule beaucoup, et même de plus en plus. S’il
se démenait jadis surtout avant les années bissextiles, entièrement
consacrées aux campagnes électorales, son parcours médiatique
est désormais commandé par les cotes de popularité. Il
n’en est pas moins vrai que, depuis l’expansion multinationale
de ses entreprises, le gouvernement fédéral ne gère plus
les intérêts du pays mais ceux du capital mondial.
Ainsi l’État français, comme beaucoup d’autres,
semble en pleine mutation et, dans sa position de vassal, il se voit parfois
contesté par quelque collectivité ethnique ou religieuse, mécontente
de la place qui lui est assignée dans le nouvel ordre national ou mondial.
La menace pèse sur un autre de ses privilèges, la souveraineté
territoriale.16 Des mouvements régionaux d’autonomie et des conflits
ethniques peuvent entraîner l’interférence et la médiation
des « grands » en fonction de leurs intérêts, surtout
quand on n’est pas de leur côté.17 Le droit de suite est
ainsi étendu par le droit d’intervention humanitaire.
Quand la forêt cache l’arbre
Les multiples bons offices de l’État masquent sa vraie nature,
qui reste inchangée. L’autorité politique suprême
dans un pays ne se réduit à aucune des fonctions économiques
et sociales que nous la voyons assumer. La collectivité nationale peut
ne plus être propriétaire des usines Renault, de La Poste et
d’EDF, son régime politique peut varier dans l’histoire
– être libéral, social-démocrate ou dictatorial,
ou adopter la forme de réseaux –, l’État reste l’État.18
Car il est d’abord et en même temps un lieu et une croyance. Plus
exactement le lieu d’une croyance.
Un exemple peut nous éclairer, le jeu de cache-cache. Un enfant, face
à un mur, un arbre ou un poteau, ferme les yeux et compte jusqu’à
cent ; pendant ce temps, ses camarades s’esquivent. Quand il a fini
de compter, il part à leur recherche. Lorsqu’il en découvre
un, tous deux courent jusqu’au point central où il s’agit
d’arriver le premier et de toucher ce poteau ou ce mur. Si le joueur
qui est découvert arrive avant l’autre, il a gagné ; dans
le cas contraire, il a perdu, et c’est lui qui, dans la prochaine partie,
devra cligner des yeux pendant que les autres se dissimulent.
En somme, ce mur, ce poteau joue la fonction d’un totem protecteur.
Celui qui le touche le premier est sauvé. Tel ce mur ou ce poteau,
l’État est un lieu de salut.
L’État, lieu totémique
On ne peut pas dire que l’État existe chaque fois que des gens
commandent et que d’autres obéissent, comme c’est le cas
dans les formations sociales primaires telles que les clans, les tribus, les
villages et les cités. Celles-ci se fondent sur les liens du sang,
du territoire, de la langue ou de la culture. L’État, au contraire,
n’est lié à ces repères que du fait de son histoire,
et cela de manière adventice.19
Il ne suffit pas qu’il y ait une nation, c’est-à-dire «
un groupe humain qui se caractérise par la conscience de son unité
et la volonté de vivre en commun » : il faut que se construise
un pouvoir symbolique de type particulier.
Cette construction symbolique varie en fonction de ses origines historiques
; elle peut provenir de son propre passé ou d’une intervention
externe, par exemple du fait de la reconnaissance accordée par les
Nations unies. Elle peut se fonder sur des systèmes de croyance très
différents, l’origine divine du roi, un passé prestigieux,
une Constitution que l’on suppose avoir été légalement
approuvée par le Peuple ou la Nation, ou même, en notre époque
d’abolition du théologique, sur des idées d’opportunité.
Le lien social est donc l’objet de croyances qui sont variables dans
leur origine et leur nature, qui peut être explicitement religieuse
ou non. Dans les nations développées, comme dans les empires
du passé, ce lien est fondé sur l’État. L’État
est cet espace symbolique où s’accomplit la hiérarchisation
du lien social, principe même du pouvoir et de l’autorité,
qui structure la société et présente la contrainte et
l’inégalité comme allant de soi.20
L’État joue dans les nations démocratiques le même
rôle qu’Allah dans les sociétés islamiques ou que
l’idée de Dieu dans les diverses théocraties et les religions
intégristes. Il est le garant, le garant de l’ordre social. Il
ne peut arbitrer les collectivités ou définir le bien commun
que pour autant qu’il est le fondement indiscuté de la collectivité.
Refuser d’obéir à l’État peut être
punissable, quoiqu’il y ait des circonstances où cela est acceptable,
par exemple quand le pays est sous occupation étrangère. On
peut désobéir, mais on ne peut rejeter le principe même
de l’obéissance. Récuser le principe même de l’État,
c’est rompre avec ce qui fait le lien même d’une collectivité
donnée. Cette croyance entraîne une fonction totémique.
L’État construit le sens et signale le bien et le mal, l’obligatoire
et les limites du permis ; il est la référence de toute pensée.
Il énonce la loi, la rationalité : « La fonction anthropologique
de l’État est de fonder la raison, donc de transmettre le principe
de non-contradiction, donc de civiliser le fantasme. L’État,
dans la rationalité occidentale, est l’équivalent du totem
dans la société sans État. »21
L’État est donc le maître souverain du sens, dont nous
ne sommes que les sujets (comme aux temps de la royauté), il est l’assise
de l’imaginaire collectif, son dernier point de repère.22 Si
le gouvernement français se livre actuellement à une intense
activité culturelle, au détriment de ce qu’on appelle
des décisions politiques, c’est que nous sommes dans un monde
en plein changement et qu’il est urgent – c’est même
une des fonctions propres de l’État, avec l’aide des médias
et des intellectuels – de modeler notre désir et notre rationalité
afin que nous ne vivions que pour lui. Comme dirait Deleuze, il établit
un surcodage des autres formes de domination. Par exemple, contrairement à
la conception marxiste, le pouvoir de la bureaucratie n’est pas réductible
à l’économie capitaliste et aux intérêts
de la bourgeoisie.23
Lieu symbolique, l’État est indépendant des personnages
qui l’occupent, les gouvernants, car le principe d’autorité
commande même les titulaires de la fonction. L’ordre donné
ne relève pas de la seule personne du gouvernant, mais du droit, auquel
lui aussi doit se soumettre. Roi, président ou ministre, il ne fait
que passer et n’exerce ce pouvoir que comme un agent temporaire. «
Le roi est mort ! Vive l’État ! » Néanmoins, le
gouvernant ne se considère pas comme un simple mortel.
Le lien social est ainsi perçu comme fondé sur un système
hiérarchique. C’est pourquoi les mouvements autonomistes contiennent
toujours dans leur principe l’idée d’État, surtout
quand ils prétendent le contraire. En dernier ressort, l’État
se fonde sur l’obéissance qui lui est due en dernière
instance : tu me dois allégeance, à moi et à aucune autre
puissance étrangère. Dans le rituel de naturalisation américaine,
cela est même dit explicitement.24
Il n’en est pas moins vrai que l’objectif masqué du libéralisme
économique est d’abolir les services que l’État
a été historiquement contraint de fournir aux citoyens au nom
des intérêts supérieurs de la logique des transnationales.
Les mouvements de lutte armée, germes de nouveaux
États
L’État central s’est efforcé, au cours des temps,
de rogner tout lien social et toute collectivité qui pourrait s’interposer
entre le citoyen et lui. L’individu se trouve donc progressivement démuni
de toute possibilité de résistance ; tout recours ne peut se
faire que par les moyens définis par les pouvoirs établis. Néanmoins,
le tissu social tend à se reconstituer, d’une manière
ou d’une autre, et la société civile réussit à
trouver des moyens d’autodéfense, par exemple par la constitution
d’associations ou de groupes de pression. Cependant, la vitesse de circulation
des nouvelles a rendu l’information meurtrière : les individus
sont spoliés du temps nécessaire de réflexion, mis en
présence soudaine de bouleversements spectaculaires, d’attentats
brutaux, de guerres éclair ; leur impuissance n’en est que plus
flagrante.
Tandis que la désarticulation des liens sociaux se traduit, dans les
pays démunis, par une explosion d’émigrations tous azimuts,
un marché illégal de transport de personnes et une restructuration
des réseaux de solidarité, dans les régions dites développées
les États ne sont plus les seuls maîtres d’œuvre ni
même souvent les acteurs essentiels. Des réseaux religieux et
séculiers, capables d’investir et de déplacer leurs finances
à la vitesse de la lumière, constitués par les multinationales,
des organisations non gouvernementales, des cartels de drogues, des mafias
et des bandes armées, ont investi la planète.
On a récemment prêté attention au phénomène
des réseaux : constellations ou groupes affinitaires, communautés
virtuelles, alliances ou coalitions... Ces formes sociales sont parfois peu
hiérarchisées – ou prétendent l’être
peu – et apparaissent surtout dans les pays les plus riches. En revanche,
dans les régions les plus défavorisées surgissent des
formations sociétales hiérarchisées : néo-féodalités,
potentats, mafias, organisations tribales. On pourrait d’ailleurs y
ajouter cette forme primitive, proche de la meute 25, les bandes de banlieue
et les mafias guerrières d’Afghanistan et d’ailleurs. Ces
collectivités, parfois tournées vers un passé mythique,
sont le moyen des pauvres pour se doter de ce qu’ailleurs nous avons
appelé des institutions intermédiaires.
La mondialisation, en accentuant les relations dissymétriques et en
désarticulant les liens sociaux, entretient un ressentiment diffus
chez tous les laissés-pour-compte. Elle n’a laissé aux
démunis que des dernières bouées, au nombre desquelles
se trouvent la religion et l’ethnicité. Les nouveaux conflits
que ces idéologies identitaires engendrent servent de couveuse à
l’éclosion de terrorismes multiples. Des réseaux financiers
alternatifs, tel celui des œuvres caritatives organisées et payées
par l’Arabie saoudite, ont substitué aux gouvernements officiels
des réseaux parallèles qui se greffent sur les nouvelles formations
sociales. Ainsi, ces terrorismes de droite, qui ne sont pas toujours totalitaires
et que Walter Laqueur qualifie de sub-étatiques ou sous-étatiques,
proviennent de formations sociales qui ne dépendent pas forcément
d’un État existant ; nous préférerons donc les
désigner par un autre terme : ce sont des « proto-États
» (du grec « prôtos », premier).
Un certain nombre de formations sociétales ont adopté une forme
para- légale : IRA, FIS, ETA, etc., collectivités fort diverses
et qu’on ne saurait confondre, mais qui relèvent toutes d’une
même logique. Ce sont en effet des États en formation, tant par
leur objectif et leur logique que par leur structure. Ils ont la volonté
de se constituer en nation, et ils adoptent ces formes élémentaires
de l’État que sont la gestion des personnes et des ressources
– le politique au sens large – et l’usage de la violence
pour arriver à leurs fins. Ils comprennent donc généralement
deux branches distinctes, souvent indépendantes, qui prétendent
s’ignorer, la branche militaire, plus intéressée par les
opérations guerrières que par les concepts politiques, et la
branche politique. Celle-ci assure les services sociaux et l’éducation,
gère des entreprises, conteste les élections. Le caractère
légal de ces formations échappe généralement aux
théoriciens de la politologie, qui n’ont d’yeux que pour
les États en place.
Le cas de l’islamisme
On pourrait prétendre que l’islamisme radical, fondé sur
la lutte armée ou l’action violente, ne relève pas de
cette catégorie politique car son but affirmé est religieux
: il veut rassembler les musulmans du monde entier et non créer un
État. Telle est bien l’affirmation des intéressés,
mais elle doit être comprise dans son contexte. Parler de l’islam
comme d’une religion, c’est projeter notre modèle occidental
judéo-chrétien sur une réalité différente.
D’où une analyse erronée d’un prétendu «
fait religieux » avec toute la ribambelle de clichés qu’on
lui accroche et qui va de « tolérance des croyances »,
« respect de la différence », jusqu’à ceux
qui ont été hérités du marxisme : « aliénation
religieuse » ou « opium du peuple ».
L’islam n’est pas qu’une religion : il est d’abord
une civilisation ou, plutôt, un ferment susceptible d’animer des
civilisations diverses. Tout comme la chrétienté du Moyen Âge
formait un tout indissoluble, c’est une foi ou plutôt une confession
de foi, c’est-à-dire la proclamation d’une croyance, et
aussi, en même temps et indissolublement, une manière de raisonner,
une forme particulière de socialité, et des structures collectives
spécifiques, mais qui peuvent s’accommoder de structures sociologiques
différentes et y occuper une place très variable.
Le rêve d’Al Qaida est, au-delà du panarabisme –
jadis proclamé entre autres par le président égyptien
Nasser –, le panislamisme. Ses commandos ne sont pas des guérillas,
parce qu’ils ne se battent pas pour libérer des territoires donnés
;
ils ont un objectif précis, résurgence d’un fantasme cent
fois renouvelé et jamais réalisé : constituer un grand
Islam, riche de dogmes indiscutables, de théocraties indiscutées,
d’un milliard de fidèles et, demain, de la quasi-totalité
des ressources pétrolières de l’univers. Contrairement
aux multinationales américaines ou françaises, qui disposent
d’un État à leur service, les groupes d’Al Qaida
représentent peut-être l’armée privée d’un
milliardaire. Ils comportent les deux fonctions d’un proto-État,
la branche politique et la branche armée. Et ils ne peuvent vivre sans
un troisième élément, une population qui aspire à
devenir membre de cet État.
La pensée occidentale, interloquée par cette fusion «
rétrograde » du politique et du religieux, ferait sans doute
bien de commencer par s’interroger sur les caractères totémiques
de ses institutions politiques et ses systèmes de raisonnement proches
de la pensée magique.
Conclusion
Les événements du 11 septembre ont projeté une lumière
crue sur les références de nos discours politiques. Peut-on
passer du discours idéologique à des concepts plus adéquats
?
Le prêche libéral s’est discrédité, ce qui
ne l’empêche pas de s’ériger sans vergogne en donneur
de leçons chaque fois qu’il convient aux intérêts
des couches dominantes. Les précautions épistémologiques
indispensables et les luttes politiques ne suffiront pas à le réduire.
Le Moyen âge avait connu ses ordres religieux, bénédictins
ou dominicains ; aujourd’hui, l’ordre des capitalistes, financiers
et industriels, inscrit ses enjeux dans un champ agonistique, et c’est
dans cette perspective qu’il entend élaborer son épistémologie
et sa stratégie.
La nature de l’État est inchangée, amputée de quelques
fonctions, mais ses attributs perdurent. Les instances dirigeantes requièrent
un référent symbolique qui les légitime, un paratonnerre
qui les abrite des protestations de la population, un médiateur dans
les négociations avec les pairs, de laboratoires
de formation et de recherche à vil prix, enfin d’une pompe à
finances dans les périodes de crise. L’État est totémique
en tant que symbole de référence ultime. En dépit de
la dissolution de certaines de ses fonctions, ce caractère magique
constitue sans doute une nappe phréatique qui relie les références
religieuses du discours islamiste ou états-unien à nos rhétoriques
prétendues rationnelles. Cette coulée archaïque doit être
prise en compte dans les aspirations collectives, où d’authentiques
mouvements d’émancipation se corrompent en proto-États.
Les fanatismes ne sont pas tous du même côté.
Le cynisme des masses occidentales emblématise l’impuissance
d’une pensée qui refuse de s’avouer le fondement magique
de ses références. Le système agonistique actuel, qui
est, peut-être, la version contemporaine de la lutte des classes, ne
peut qu’entretenir ce caractère magique en s’enfermant
dans une pensée dichotomique, binaire. Diviser le monde en bons et
en méchants, poser les problèmes de manière à
n’ouvrir qu’un seul choix entre deux options relève bien
de la logique militaire, qui a besoin de trancher à vif dans la chair
humaine.
L’émancipation de l’idéologie politique dominante
est donc plus difficile qu’il n’y paraît. Il ne suffit pas
de changer, de jeter certaines lectures du politique dans les poubelles de
l’histoire, c’est
le terrain même de la réflexion qui est miné. Il faut
s’affranchir d’autres logiques agonistiques, comme le marxisme,
car elles schématisent le monde, pire, elles ensorcellent. Du côté
des auteurs libertaires du passé, beaucoup de
leurs épistémologies sont aussi obsolètes. D’ailleurs,
un mouvement né dans
des conditions historiques données, a exprimé des forces sociales
qui ont changé depuis. Même un pluralisme
dialectique et une réciprocité de perspectives n’écartent
pas le danger : la cohabitation de la pensée rationnelle avec la pensée
magique montre qu’elles peuvent faire bon ménage. Au risque d’être
infidèles, les démarches et actions non hiérarchisantes,
fédératives, n’échapperont aux rites d’incantation
que si elles rompent avec le radotage obsessionnel pour entreprendre la multitude
de lectures possibles du réel. N’est-ce pas ainsi que le hasard
procède ?
Ronald Creagh
1. Ce travail reprend, sous une forme plus développée,
une communication présentée au Colloque de Grenoble 2001. Comme
celle-ci, il a bénéficié des commentaires attentifs et
passionnants de John Clark, de Marianne Enckell et de Jean-Jacques Gandini,
que je tiens à remercier.
2. Chiffre donné pour la période entre le 7 octobre et le 7
décembre par le prof. Marc Herold, University of New Hampshire, États-Unis,
in BBC, 3 janvier 2002, http://news.bbc.co.uk/hi/english/world/south_asia/newsid_1740000/1740538.st.
Ces chiffres n’incluent que les décès rapportés
par les médias et pas la totalité des victimes.
3. C’est par une déclaration solennelle que George Bush, en octobre
2001, a fait appel à l’OTAN et déclaré qu’il
s’agissait d’une guerre : on sait comment il a bafoué,
par la suite, les lois internationales sur le traitement des prisonniers.
4. Nous reprenons ici la thèse développée dans ses travaux
par Pierre Mélandri.
5. Il était édifiant de constater que les politiciens ont débattu
des problèmes cruciaux de la planète, au Forum économique
mondial de New York en février 2002, sous l’égide de modérateurs
qui étaient des dirigeants de transnationales... Le cadre de cet article
ne permettant pas une analyse détaillée, on se contentera d’une
anecdote récente. Lors de la faillite de la société Enron,
le sénateur démocrate Ernest F. Hollings, qui mène l’accusation,
est interrogé sur les contributions éventuelles qu’il
aurait reçues de l’entreprise : « Bien sûr, j’en
ai eu, mais j’ai reçu 3 500 dollars en dix ans tandis que notre
amie Kay Beley Hutchison en a eu 99 000. Flûte ! je suis président
du comité : ce n’était pas une contribution, c’était
une insulte. » « Senate Panel Says It Will Subpoena Ex-Chief of
Enron », par Stephen Labaton et Richard A. Oppel Jr., New York Times,
5 février 2002.
6. J’interprète librement une communication présentée
par Gilbert Achcar à la séance du 8 décembre 2001 de
la Société d’études nord-américaines.
7. Septembriseur : « personne qui prit part aux massacres des détenus
politiques dans les prisons de Paris du 2 au 6 septembre 1792 », Petit
Larousse illustré, 1984.
8. Voir, par exemple, les alertes périodiques de la population sur
des menaces imminentes, réelles ou imaginaires.
9. Christophe Jakubyszyn et Laurent Mauduit, « Aux États-Unis,
le retour de l’État dans l’économie », le
Monde, 28 septembre 2001, p. 12.
10. Jacques Guigou, « Soubresauts », Temps critiques, novembre
2001.
11. Voir par exemple la composition du club Saint-Simon.
12. Le Monde, 28 septembre 2001.
13. On imagine mal, par exemple, que le président de la République,
chef suprême des armées, puisse décider de relancer des
tests de bombes nucléaires sur le territoire français contre
l’avis des autres chefs d’État européens. Ou que
la France décide de quitter l’Union européenne ou même
de ne plus appliquer les décisions de Bruxelles en matière commerciale.
14. Fondée sur la solidarité et sur l’autogestion, et
non sur des capitaux investis en fonction du seul critère de la rentabilité...
ou des convenances politiques.
15. Voir ci-dessous, p. 16.
16. A-t-on oublié les protestations contre les expériences nucléaires
entreprises à Tahiti sur l’ordre du président de la France
?
17. Avant l’invasion du Koweït, l’Irak pouvait gazer les
Kurdes, avec la complaisance des États-Unis, comme en bénéficient
aujourd’hui les Turcs.
18. On se souviendra que durant le procès de Papon, de très
hauts fonctionnaires révélèrent comment, au moment de
la Libération, de Gaulle entendit assurer la fiction de la continuité
de l’État. Très rares furent donc les hauts fonctionnaires
qui furent révoqués, quels qu’aient pu être leurs
méfaits.
19. Sans doute acquiert-on la nationalité française en naissant
sur le territoire, comme ce fut le cas de Napoléon, né peu de
temps après l’acquisition de la Corse par la France. Mais il
s’agit d’un lien dans les faits, non dans les principes : la naturalisation
française permet de se lier à l’État français,
comme aussi l’enregistrement d’une naissance au consulat d’un
pays étranger.
20. Sur le caractère totémique de l’État, voir
les ouvrages de Pierre Legendre.
21. Pierre Legendre, in « Entretien avec Pierre Legendre », le
Monde, 22 octobre 2001.
22. Il va de soi que l’État peut occuper des fonctions subordonnées
aux institutions économiques. Concept symbolique, l’État
est nu, est d’autres groupes peuvent tenter de s’en emparer dans
l’imaginaire symbolique.
23. Frank Harrison, The Modern State : An Anarchist Analysis, Montréal,
Black Rose Books, 1983, p. 62.
24. « I hereby declare, on oath, that I absolutely and entirely renounce
and abjure all allegiance and fidelity to any foreign prince, potentate, state,
or sovereignty of whom or
which I have heretofore been a subject or citizen. » À noter
que cette allégeance est faite à la Constitution du pays et
non à son président.
25. Le terme doit être entendu au sens biosociologique, sans intention
péjorative.