Que sommes-nous en mesure
de proposer, face au nouvel ordre mondial mis en place par les États-Unis
d’Amérique, hérauts d’un capitalisme triomphant
qui sous-tend une mono-culture fondée sur l’Avoir et manifeste
un mépris total envers l’Autre ?
Compte tenu de tous les mouvements de résistance soulevant l’opinion
publique mondiale qui se sont faits jour de Seattle à Barcelone, en
passant par Nice, Gênes et Porto Alegre, un fédéralisme
de type anarchiste apparaît comme une des alternatives possibles.
Il s’agit en l’occurrence d’une forme d’organisation
et d’émancipation sociale basée sur la solidarité
et l’entraide d’individus autonomes qui, fonctionnant par affinités,
s’associent volontairement en groupes de plus en plus importants jusqu’à
l’échelon universel, mettant en place à chaque niveau
les structures sociales jugées les plus pertinentes en vue de la satisfaction
de tous, par des échanges permanents.
Mais ce fédéralisme est pluriel dans son approche, et pour en
traiter nous alternons des réflexions d’ordre général
et des études de cas.
En ouverture, Ronald Creagh revient sur les événements suivant
le 11 septembre 2001, dont il livre une analyse qui tranche sur le discours
dominant. L’emprise des transnationales, et surtout du capitalisme financier,
constitue un nouvel empire dont les États-Unis ne sont que le fer de
lance, basé sur le concept de guerre permanente. Dans cette perspective,
loin de disparaître, les États accentuent leur fonction essentielle
: définir le bien et le mal.
Marianne Enckell nous invite, après un rappel historique, à
fédérer nos énergies, estimant selon la formule de Claude
Parisse que l’unité à laquelle tendent un certain nombre
d’anarchistes consiste « à reconnaître et à
faire vivre la diversité et l’autonomie des formes de lutte,
des regroupements ou des actions individuelles, bref la diversité de
la vie réelle opposée à l’unification factice des
partis, des États, des Églises, des sectes ou du spectacle mis
en scène par les mass media ».
Lucien Van der Walt, qui vit et travaille en Afrique du Sud, passe en revue
plusieurs pays et affirme la solidarité des anarchistes avec les mouvements
anti-impérialistes et leur « participation active aux luttes
de libération nationale tout en assurant [leur] indépendance
vis-à-vis des nationalistes ».
Réflexion poursuivie sous un autre angle par Roland Breton, qui estime
que la prise en considération, par dessus les formations sociales (classes),
des formations sociétales (peuples, nations, ethnies) et des systèmes
d’aliénation culturelle et
de domination politique mène à distinguer les luttes de libération
nationale du nationalisme. Pour lui, le fédéralisme permet de
reconnaître chaque peuple, son autonomie et sa place dans des structures
superposées aux différents niveaux, communautaire, régional,
national, continental et mondial. Il livre également un commentaire
critique et constructif de l’ouvrage fondamental, mais toujours inédit
en français, de Rudolf Rocker, Nationalisme et Culture.
Les cas particuliers abordés ont d’abord trait à la France.
Alain Thévenet s’interroge, à partir d’expériences
personnelles, sur l’échec de la République, l’égalité
et les « sans-part », la citoyenneté et la communauté,
pour en déduire que « quelles que soient nos différences,
ce qui nous rapproche est bien plus fondamental que ce qui nous sépare
» et constitue le noyau de notre humanité. Pour sa part, René
Fugler pointe « la difficile reconnaissance des ethnies françaises
» en vue d’un ensemble équilibré, vivant, où
la circulation des connaissances, des idées, des œuvres... et
des personnes se fasse librement selon leur nature et leur plaisir. Une société
fédéraliste doit être aussi une fédération
des groupements humains qui la composent, admis et reconnus dans la différence
que leur a imprimée une histoire – donc aussi un ou des territoires,
une culture, une langue.
Georges Rivière, lui, nous fait un peu rêver : le mouvement insurrectionnel
qui perdure en Kabylie s’est donné des formes organisationnelles
libertaires en subvertissant radicalement les anciens modes de représentation
tribaux et villageois. Ignoré par les médias – par peur
de la contagion ? – ce mouvement des assemblées se présente
d’ores et déjà comme un possible facteur de transformation
sociale en Algérie.
Marchant sur les traces de Claire Auzias, loin des clichés éculés,
Xavier Rothéa étudie le peuple des Roms, doté d’une
conscience collective et d’une culture propre, qui n’a jamais
cherché à se doter d’un État, son territoire n’étant
pas un espace géographique mais « un espace vécu »
de relations familiales, professionnelles et commerciales.
Quant à David Kavanaght, il livre un témoignage sur la mosaïque
militante québécoise. Mettant en perspective le double Sommet
des Amériques et des Peuples d’avril 2001 par rapport à
la crise provoquée en octobre 1970 par le Front de Libération
du Québec, il tente d’expliquer le rôle joué par
le sentiment nationaliste au sein de la « gauche » québécoise.
Charles Jacquier, enfin, nous permet de donner un coup de chapeau à
Interrogations, revue internationale de recherche anarchiste qui, en dix-sept
numéros parus entre 1974 et 1979, a marqué une rupture par rapport
à l’anarchisme traditionnel et constitue l’un des points
de repères du collectif de Réfractions.
La rubrique Transversales est consacrée au roboratif et stimulant lexique
philosophique de l’anarchisme de Daniel Colson qui fait l’objet
de deux analyses critiques, assorties d’un commentaire en retour de
l’auteur.
Au final, nous n’avons pas cherché à formuler ici des
propositions apodictiques mais à ouvrir un espace de discussion afin
de donner aux lecteurs et lectrices des outils pour mieux comprendre et œuvrer
à transformer le monde qui nous entoure, sachant également qu’au-delà
des divergences d’approche des différentes contributions à
ce numéro, elles font le pari que d’autres mondes sont possibles.
La commission