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En son sens le plus profond et le plus authentique, l'écologie sociale est le réveil de la communauté terrestre, qui réfléchit sur elle-même, découvre son histoire, explore la situation difficile dans laquelle elle se trouve et envisage son futur.2 Un des aspects de ce réveil est le processus de réflexion philosophique. En tant qu'approche philosophique, une écologie sociale s'intéresse aux dimensions ontologique, épistémologique, éthique et politique des relations entre le social et l'écologique et recherche une sagesse pratique découlant de telles réflexions. Elle cherche à nous orienter, en tant qu'êtres concrètement inscrits dans une histoire humaine et naturelle, pour nous permettre de faire face aux défis et aux opportunités. Ce faisant, elle développe une analyse à la fois holistique et dialectique et une pratique sociale qu'on pourrait mieux décrire comme un éco-communitarisme.
Une théorie en évolution |
Un holisme dialectique " No nature" 27 Le tao* qui peut être dit Cette réalité est ontologiquement un préalable
à la différentiation écologique et, en réalité,
à la nature elle-même - et c'est une des raisons
pour lesquelles un simple " naturalisme " ne peut jamais
être adéquatement dialectique. C'est l'appréhension
de la réalité conditionnelle de tous les phénomènes
qui conduit la pensée dialectique à affirmer simultanément
l'être et le non-être de tous les objets, catégories
et concepts. C'est à ce terrain que le théoricien
de l'écologie sociale Joël Kovel fait allusion comme
" plasma de l'être ". C'est aussi ce que des
philosophes mystiques comme Böhme ont appelé, de
façon tout à fait dialectique, " le fond sans
fond ", tentant d'exprimer ainsi l'idée que c'est
un fondement de l'être, qui ne peut être objectivé,
et non un fondement ou une substance transformable en réalité
objective, sur laquelle on imaginerait que tout peut reposer.
Si nous voulions attacher un concept à cette réalité
ultime, ce serait peut-être (si nous suivons Whitehead)
celui de " créativité ". L'explication de Kovel sur notre relation à ce champ
primordial est à la fois phénoménologique
et psychanalytique. Elle révèle les chemins qui
font de nous des êtres écologiques et, en réalité,
des êtres spirituels, du fait que notre être s'étend
au-delà du moi individualisé ou socialement construit.
Une large part de notre expérience nous révèle
que ce moi n'est ni suffisant, ni premier. Il existe donc des aspects fondamentaux de l'être qui
nous rattachent, physiquement, psychologiquement et ontologiquement,
à des réalités plus vastes (ou plus profondes)
- aux autres êtres vivants, à notre espèce,
à la terre, au champ premier de l'être.
Le Moi écologique " Nous pouvons avoir l'expérience des choses - nous pouvons toucher, entendre et goûter les choses - seulement parce que, comme corps, nous sommes nous-mêmes inclus dans le champ sensible et que nous avons nos propres textures, nos sons et nos goûts. Nous ne pouvons percevoir les choses que parce que nous faisons totalement partie du monde sensible que nous percevons! Nous pourrions tout aussi bien dire que nous sommes des organes de ce monde, la chair de sa chair et que le monde se perçoit lui-même à travers nous. "35 Une telle conception holistique de l'interaction entre l'homme et la nature est un complément nécessaire à la conception de l'humanité comme " nature prenant conscience d'elle-même " ou " nature se connaissant ", conception qui sans cela pourrait être prise en un sens exclusivement intellectuel, objectivant et, en fin de compte, idéaliste. Une écologie sociale de la valeur " ce n'est pas simplement la somme des valeurs particulières. Aucune partie ne valorise l'accroissement des variétés, et néanmoins le système promeut un tel accroissement. La valeur systémique est le processus productif; ses productions sont des valeurs intrinsèques tressées par des relations instrumentales "37. Ce type d'analyse holistique nous aide à atteindre une compréhension authentiquement écologique de la valeur à l'intérieur des écosystèmes ou des éco-communautés. Pour Rolston, le " complexe environnement-espèce doit être préservé parce que le contexte est générateur de la valeur. "38 L'éco système - c'est-à-dire l'éco-communauté qui a modelé l'espèce, lui est reliée de l'intérieur et s'incarne dans ses modes même d'existence - est un tout générant la valeur. En dernière analyse, la Terre doit être comprise par nous comme étant le tout, générateur de valeurs, qui est pour nous le plus significatif. Il nous faut saisir complètement la conception d'un bien planétaire qui se réalise par la plus vaste acquisition mutuelle du bien grâce à tous les êtres qui constituent ce tout - au sens à la fois de leur propre bien et de leur contribution aux biens des différents ensembles auxquels ils participent. |
Une écologie de l'imagination
Un imaginaire écologique Liberté et domination |
Une politique éco-communautaire " le quartier [...] doit être rebâti en une unité politique active, si notre démocratie doit redevenir active et vigoureuse, comme il y a deux siècles dans un village de la Nouvelle-Angleterre, car c'était là une unité politique supérieure. Les mêmes principes s'appliquent de nouveau à la cité et au système de relations entre les cités en un réseau ou une grille reliant la ville et la région "47. Cette conception d'une démocratie régionale
basée sur la démocratie locale est corollaire de
la conception éco logique sociale (telle que l'exprime
Geddes) de communautés régionales et plus vastes
s'organisant de façon de plus en plus large à partir
de la demeure, du quartier et des communautés locales. Economie Sociale
Le nouveau Léviathan L'avenir de l'écologie sociale John Clark
Traduction d'Alain Thévenet |
1. Élisée Reclus, l'Homme et la Terre, 6 vol., Paris, Librairie universelle, 1905-1908, vol. I, p. 1. 2. " L'écologie sociale " est aussi un champ interdisciplinaire d'études académiques qui s'intéresse aux interrelations entre les institutions sociales humaines et les problèmes de l'environnement. La branche des sciences biologiques qui s'occupe du rôle des êtres humains dans l'écosystème est en rapport étroit avec l'écologie humaine. Cependant, les études portant sur l'écologie sociale ont un spectre bien plus large et elles comprennent dans leurs analyses de nombreuses branches des sciences sociales et naturelles. Cette écologie sociale interdisciplinaire a beaucoup de données empiriques en commun avec celles qu'utilise l'écologie sociale dans ses réflexions théoriques. 3. Voir en particulier Champs, Usines et Ateliers [...], l'Entraide, Paris, Publico, 1979, pour les discussions capitales de beaucoup de ces sujets, et sa brochure l'État, son rôle historique à propos des traditions communautaires et démocratiques. 4. Pour une discussion de l'intérêt de Reclus pour une pensée écologique contemporaine, voir John Clark, la Pensée sociale d'Élisée Reclus, géographe anarchiste, ACL, 1997. 5. Pour la discussion des valeurs directrices pour Geddes de la " sympathie ", la " synthèse " et la " synergie ", et ses concepts régionaux de " lieu ", " travail " et " peuple ", voir de Murdo Macdonald, " Patrick Geddes in context " in The Irish Review (automne-hiver 1994) et " Art and the Context in Patrick Geddes' Work ", in Spazio e Società / Space and Society, octobre-décembre 1994, pp. 28-39. 6. Ramachandra Guha, " Lewis Mumford, the Forgotten American Environmentalist : An Essay in Rehabilitation ", in David Macauley, Minding Nature : The Philosophers of Ecology, New York, Guilford Presse, 1996, p. 210. 7. Mumford n'a pas choisi de forger une expression pratique pour identifier sa théorie sociale. Je tire l'expression de " régionalisme écologique " de la très utile étude de Mark Luccarelli, Lewis Mumford and the Ecological Region, New York, Guilford Press, 1995. 8. Le Mythe de la machine, tome II : Le pentagone de la puissance. Paris, Fayard, 1974, p. 524. 9. " The Human Prospect " in Interpretations and
Forecasts : 1922-1972, New York, Harcourt, Brace, Jovanovich,
1973, p. 403. 14. Murray Bookchin, The Ecology of Freedom, The Emergence and Dissolution of Hierarchy, Palo Alto, California, Cheshire Books, 1982. Voir aussi, en français, les diverses traductions publiées à l'Atelier de création libertaire et notamment Une société à refaire. Pour une écologie de la liberté, Lyon, Atelier de création libertaire, 1992. 15. Malheureusement, comme le note David Watson dans Beyond Bookchin : Preface for a Future Social Ecology (Brooklyn, N. Y. et Detroit, MI, Autonomedia and Black and Red, 1996, p. 119), il tombe dans " l'erreur non dialectique qui consiste à penser que la technologie est un outil neutre dont peut user et abuser celui qui l'utilise ". Pour un examen approfondi de l'optimisme technologique de Bookchin dans une perspective écologique sociale, voir, de l'ouvrage cité, tout le chapitre " The Social ecologist as technocrat " (pp. 119-167). 16. Mumford, le Mythe de la machine, tome II, p. 532. 17. " Mais Dieu ne demeure pas de pierre, et mort ; les pierres crient et se dressent elles-mêmes vers l'Esprit. " Hegel, Encyclopédie de la science philosophique, cité par Errol Harris, The Spirit of Hegel, Atlantic Highlands, NJ, Humanities Press, 1993, p. 103. 18. Voir le traité évolutionniste classique de Samuel Alexander, Space, Time and Deity, 2 vol., New York, Dover Publications, 1966. 19. Les implications évolutionnistes, écologiques et cosmiques, implicites dans la " philosophie de l'organisme " de Whitehead, sont élaborées éloquemment par Charles Bird et John B. Cobb Jr dans The Liberation of Life, Denton, TX, Environmental Ethics Books, 1990. 20. Voir Pierre Teilhard de Chardin, le Phénomène humain, Seuil, 1970 et l'Avenir de l'homme, Seuil, 1959. 21. Voir Radhakrishan, An Idealist View of Life, New York, Barnes and Noble, Inc., 1964. 22. Voir Ken Wiber, Sex, Ecology, Sprirituality, Boston, Shambhala, 1995, et A Brief History of Everything, Boston, Shambhala, 1996. 23. Nous ne nous " identifions " pas simplement à un ensemble plus large. Nous explorons plutôt les modes spécifiques de relations et développons notre vision et nos sentiments en relation avec ce que nous découvrons autour de soi et de l'autre. Selon cette analyse, une écologie sociale dialectique a plus en commun avec la pensée écoféministe qu'avec celle des théories écologiques qui font porter l'accent sur une individualité " élargie ". 24. C'est le cas de la discussion très utile de Eric Katz " Organism, Community and the "Substitution Problem" " dans Environmental Ethics, 7, 1985, pp. 241-256. Katz soulève des questions très importantes, bien qu'il surestime l'opposition entre les deux approches en les interprétant comme des " modèles " plutôt rigides. 25. Le cas le plus flagrant est celui de l'attaque de Tom Regan dans " Holism as Environmental fascism " de son essai " Ethical Vegetarianism And Commercial Animal Farming " reproduit dans Contemporary Moral Problems, édité par James White, St. Paul MN, West Publishing Co, 1988, pp. 327-341. Notons la critique sévère que porte Mumford, à partir d'une position holistique " organiciste ", au holisme extrême totalisant de Teilhard de Chardin dans le Mythe de la machine, tome II, p. 426. 26. Le concept de " holon " a d'abord été proposé par Arthur Koestler dans le Cheval dans la locomotive, Calmann-Lévy, 1968, chapitres 3 et suivants. Ken Wilber a récemment défendu son importance fondamentale. Pour une discussion concise de l'analyse de Wilber des holons, de leurs caractéristiques " d'identité ", " d'autonomie " et " d'agencement ", ainsi que leur constitution en " holarchies ", voir A Brief History of Everything, chapitre 1. 27. L'un des gestes les plus dialectiques de la pensée écologique récente est le choix par Gary Snyder du titre No Nature pour son recueil de poèmes. Partant de l'allusion de Hakuin au " soi-nature qui n'est pas nature ", il nous rappelle notre logocentrisme qui doit se corriger : " La nature n'est pas un livre. " No Nature, New York, Pantheon Books, 1992, pp. V, 381. 28. Tao te Ching 1, in Wing-tsit Chan, Source book in Chinese Philosophy, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1963, p. 139. 29. History and Spirit : An Inquiry into the Philosophy of Liberation, Boston, Beacon Press, 1991. p.161. Cette idée du continuum premier de l'être est ce qui permet au phénoménologue dialecticien Merleau-Ponty de contribuer de façon primordiale à une écologie sociale. David Abram explique le concept de Merleau-Ponty, la " chair " comme " le mystérieux tissu, ou la matrice qui sous-tend et accroît à la fois le percevant et le perçu en tant qu'aspects interdépendants de son activité spontanée ". [David Abram, The Spell of the Sensuous : Perception and Language in a More-Than-Human World, New York, Pantheon Books, 1966, p. 66.] Ce concept unit le sujet et l'objet comme déterminations d'une réalité plus primordiale. 30. Kovel, History and Spirit, pp. 166-167. 31. History and Spirit, p. 1. 32. Selon Harris, Hegel voit la religion " comme la conscience éprouvée et la conviction de l'infini immanent et puissant dans toute réalité qu'elle soit naturelle ou historique, et de ce qui transcende toute existence finie " et comme " l'une des formes de cette autoréalisation finale du tout qui est la vérité et sans laquelle il n'y aurait aucune dynamique pour impulser le processus dialectique ". C'est pourquoi, en conséquence, " répudier l'esprit et rejeter toute religion revient à paralyser la dialectique et, dans les faits, à l'abandonner. " [Harris, The Spirit of Hegel, p. 54.] Si nous prenons soin de lire " transcendant " comme " trans-fini " et non comme " surnaturel ", et si nous nous souvenons qu'aucune autoréalisation du tout n'est " finale ", alors cela décrit aussi un aspect important du sens de la " spiritualité " pour un holisme dialectique. 33. Bien que l'écologie sociale et d'autres philosophies occidentales aient atteint leur limite avec l'unité-dans-la-diversité, elles feraient peut-être bien de réfléchir au concept radicalement dialectique de différence-non-différence, le bledabhedavada de la philosophie indienne. 34. Joël Kovel, " Human Nature, Freedom, and Spirit ", in John Clark, éditeur, Renewing the Earth ; The Promise of Social Ecology, London, Green Print, 1990, p. 145. 35. Abram, The Spell of the Sensuous, p. 68. 36. C'est là précisément la problématique qui fut d'abord proposée par Lao Tzu il y a deux millénaires et demi. 37. Holmes Rolston, III, Environmental Ethics : Duties to and Values in the Natural World, Philadelphia, Temple University Press, 1988, p. 188. 38. Ibid., p. 154. 39. Karl Marx, Grundrisse. Foundations of the Critique of Political Economy, New York, Vintage Books, 1973, p. 99. 40. Pour une discussion des implications radicales du régionalisme, voir Max Cafard " The Surre (gion) alist Manifesto ", in Exquisite Corpse 8, 1990, 1, 11-23. 41. Voir l'essai classique de Gary Snyder, " Good, Wild, Sacred " in The Practice of the Wild, San Francisco, North Point Press, 1990. 42. Thomas Berry et Brian Swimme, The Universe Story : From the Primordial Flaring Forth to the Ecozoic Era, New York, Harper Collins, 1992, p. 3. 43. Ibid., p. 5. 44. Murray Bookchin, The Philosophy of Social Ecology, Montreal, Black Rose Books, 1990, p. 182. 45. L'importance attachée par Bookchin à une vue prométhéenne de l'activité humaine est suggérée lorsqu'il demande comment l'humanité doit " organiser une "libre nature" " (" What is Social Ecology ? " in Zimmermam et collectif Environmental Philosophy, 1re édition, p. 370. 46. Ibid., p. 354. 47. Mumford, The Human Prospect, p. 471. 48. La réduction que fait Bookchin d'une politique éco-communautaire au municipalisme libertaire est une problématique profondément défectueuse, non dialectique et fondamentalement dogmatique, et il n'est pas possible de discuter ici ses points faibles. Pour une critique détaillée, voir de John Clark, " Municipal Dreams : Murray Bookchin's Idealist Politics " in Andrew Light, ed, Anarchism, Nature and Society : Critical Perspectives on Murray Bookchin's Social Ecology, New York, Guilford Publications, à paraître. 49. Benjamin Barber, Strong democracy : Participatory Politics for a New Age, Berkeley, University of California Press, 1984, p. 176. 50. Murray Bookchin, The Rise of Urbanization and the Decline
of Citizenship, San Francisco, Sierra Club Books, 1987, p. 276
et " Libertarian Municipalism : an Overview " in Green
Perspectives, 24, 1991, 4. 53. Murray Bookchin, The Modern Crisis, Philadelphie, PA, New Society Publishers, 1986, p. 91. 54. Bookchin, The Rise of Urbanization, p. 263. 55. Ibid., p. 275. 56. Tom Athanasiou, Divided Planet : The Ecology of Rich and Poor, Boston, Little, Brown and Company, 1996. 57. Equivalent de " gauchistes " en français (ndt). 58. Ibid., p. 9. 59. J'ai suggéré quelques-unes des voies dans lesquelles un dialogue entre l'écologie sociale et l'écologie profonde pourrait être utilement exploré dans " How Wide Is Deep Ecology ? " in Inquiry, 39, juin 1996, 189-201. |