Prolégomènes à
une réflexion sur la violence |
« Je parlerai de la bonne violence qui porte la réponse insurgée du dominé au dominant. »
C’est le quatrième acte des Justes de
Camus, et Kaliayev se trouve dans une cellule de la tour Pougatchev à la prison
de Boutiri après avoir tué le grand-duc Serge. Un prisonnier, Foka, pour réduire
sa peine de meurtrier, pend les condamnés. Il croit qu’un bourreau ne commet pas
de crimes « puisque c’est commandé ». Kaliayev s’adresse à lui :
Kaliayev : Tu es donc un bourreau ?
Foka : Eh bien, barine, et toi ?
Camus : les Justes (p. 364 , la Pléiade)
Pour le bourreau, ses actes et celui de Kaliayev s’équivalent, mais dans le
monde humain de la chair souffrante et humiliée, la révolte et l’oppression ne
sont pas échangeables, un axe les unit mais une valeur radicale les oppose.
La violence de la révolte et la violence de l’oppression ne parlent pas la même
langue, et toute traduction de l’une dans l’autre est impossible. Celui qui veut
les traduire parle la langue de Foka.
Ainsi, nous voulons, d’entrée de jeu, poser une affirmation et établir une
distinction. La violence de l’opprimé, du révolté, est nécessaire et légitime.
La violence qui libère n’est pas du même ordre que la violence qui opprime.
À partir de là, beaucoup de problèmes se posent. La première difficulté qui se
présente quand on veut discuter ou réfléchir sur la violence est l’étendue de
son champ sémantique. La violence n’est pas une catégorie conceptuelle unifiée.
Le contenu le plus général du mot fait référence à une force excessive,
incontrôlée, brutale, abusive. La violence de la pluie, du vent, de l’incendie.
Si on veut contraindre quelqu’un par la force, on lui fait violence. Mais on
peut obliger par d’autres moyens, la menace, les bons sentiments, la tromperie.
On viole un corps ou une conscience. Mais aussi on se fait violence pour dominer
sa colère. On a une violente et dévorante passion pour une femme ou pour la
liberté. Violents sont le despotisme et la tyrannie. Le pouvoir opprime.
L’oppression peut être douce ou violente, mais elle me fait toujours violence.
Quand on veut unifier la violence, on se trouve devant le paradoxe suivant : si
le tyran me fait violence pour me soumettre à sa volonté, je me révolte. Et, par
cette action, je lui fais violence en l’empêchant d’accomplir ses désirs. À
l’évidence ces deux violences ne sont pas symétriques.
Le tyran et le révolté, ou le capitaliste et le prolétaire, se dégagent de
l’arrière- plan comme des figures ou des types de la lutte sociale, mais dans
l’écoulement constant de la vie, dans la pratique répétitive du quotidien, c’est
dans l’institution hiérarchique et étatique de la société que se trouvent les
formes ouvertes ou cachées de la violence collective, politique, sociale,
institutionnelle. Parce que les comportements individuels prennent sens dans ce
contexte social, c’est-à-dire qu’ils deviennent conformistes ou réfractaires ou
révolutionnaires à l’intérieur d’un univers symbolico-imaginaire grâce auquel la
société prend forme et se reproduit.
Sur le socle de l’exploitation économique, la domination politique ordonne et
réprime. L’État est le représentant et le garant symbolique de l’ordre établi.
Nous pouvons dire dans une formule que la violence est une fonction de la
structure de la domination. Elle est violente quand elle oblige et sanctionne.
Elle justifie d’avance la violence du révolté.
La violence primaire
Ici gît, enseveli par la force prégnante des représentations imaginaires
centrales de notre monde hiérarchique et androcentrique, un problème grave et
complexe, mille fois dénoncé mais difficile à expliciter. Devant les
manifestations ouvertes de la violence du pouvoir, la réaction s’impose
d’elle-même, mais les entreprises sournoises de conditionnement, de nivelage, de
dressage qui s’exercent de façon subtile et aimable, sollicitant et obtenant la
complicité de la victime, sont plus difficiles à reconnaître. En plus,
l’alchimie de l’adaptation s’effectue dans le processus de socialisation de
l’enfant où les formes de la domination politique existante se transforment en
catégories psychologiques de la réalité établie.
Les structures de domination « sont le produit d’un travail incessant (donc
historique) de reproduction auquel contribuent des agents singuliers »1,
c’est-à-dire les hommes et les femmes dans leur vie personnelle et sociale, vie
encadrée par la Famille, l’Église, l’École, l’État. Ainsi les dominés – comme
les dominants d’ailleurs – appliquent eux-mêmes les catégories interprétatives
ou compréhensives du monde qui ont été construites du point de vue des dominants
mais qui, venant maintenant aussi des dominés, apparaissent comme naturelles.
On reconnaît là ces processus – que Bourdieu appelle le paradoxe de la doxa –
qui sont responsables de la transformation de l’arbitraire culturel en un fait
de nature. Et qui produisent, quand on fixe un petit peu l’attention sur le
problème, cet espèce d’étonnement devant « le fait que l’ordre du monde tel
qu’il est [...] soit grosso modo respecté, qu’il n’y ait pas davantage de
transgressions ou de subversions, de délits et de “folies” [...];
ou, plus surprenant encore, que l’ordre établi, avec ses rapports de domination,
ses droits et ses passe-droits, ses privilèges et ses injustices, se perpétue en
définitive aussi facilement, mis à part quelques accidents historiques, et que
les conditions d’existence les plus intolérables puissent si souvent apparaître
comme acceptables et même naturelles ».2
Étonnement qui, deux cent cinquante six ans avant le texte de Bourdieu que je
viens de citer, avait saisi déjà Hume :
« Rien ne paraît plus surprenant, à qui considère les choses humaines d’un œil
philosophique, que la facilité avec laquelle la minorité gouverne le grand
nombre, et l’aveugle soumission avec laquelle les hommes sacrifient leurs
propres sentiments et passions à ceux de leurs gouvernants. » 3
Habitués à un société structurée sur la domination – qu’en la trouvant déjà là à
leur naissance ils prennent pour un fait naturel –, les femmes et les hommes
méconnaissent cette violence première, symbolique, rampante, froide,
structurante de leur propre être psychique.
Nous voilà engagés dans des voies de la raison qui vont à l’encontre du «
témoignage des sens » cher à la plupart de nos semblables.
La violence qui se montre, chaude, sensible, que nous voyons tous les jours, est
une autre violence : les tueurs en série (serial killers), les viols, la
maltraitance, le racket, la « violence urbaine » des « quartiers sensibles », la
violence aveugle et sans objet des jeunes marginalisés sans projet ni avenir, la
petite délinquance de l’exclusion, mais aussi les bombes,
les occupations d’usine, les séquestrations de patron, les vitrines brisées, les
émeutes, les attentats à la propriété, les squats, etc.
Toutes les formes de la violence – manifestations conscientes d’une révolte ou
inconscientes expressions d’une situation sociale – sont amalgamées et
criminalisées en bloc pour être mises au service du discours de l’insécurité. Ce
discours, colporté par tous les moyens de communication de masse, donne la
vision autorisée du monde social à l’époque de la mondialisation du marché
capitaliste et il construit en même temps son objet : la « violence des jeunes
», la « violence urbaine », propre aux exclus, aux immigrants, aux classes
populaires, aux quartiers de relégation.
La classe dominante dans la société néo-libérale – comme la bourgeoisie à
l’origine de l’industrialisation – fait appel à un traitement pénal de la misère
et signale comme responsable la classe dangereuse, en occultant son propre rôle
dans la genèse sociale et économique de la marginalisation.
En prenant appui sur le postulat de la croissance du phénomène dit de
« la violence urbaine » – concept idéologique manipulable a piacere –, les
différents gouvernements dans les pays du capitalisme avancé adoptent, avec les
nuances nécessaires, les « théories » formulées par la droite américaine des
années 80 devant la nouvelle situation créée par le capitalisme conquérant, la
déréglementation du secteur privé et l’amenuisement du secteur public. Ces
prétendues théories sont basées sur le triptyque suivant (devenu entre-temps
néo-libéral, mais aussi de plus en plus « social-démocrate ») : le marché «
libre », la responsabilité individuelle (appel aux tribunaux, aux juges) et les
valeurs de la famille (patriarcale soft). Avec l’écart, lui vraiment croissant,
entre riches et pauvres, et la peur des nantis devant le moindre désordre qui
puisse surgir dans « la populace de nos grandes villes » confrontée à la «
fracture sociale », les théories néo-libérales aboutissent, comme nous sommes en
train de le voir tous les jours, à la doctrine de « la tolérance zéro », exemple
de la politique policière et judiciaire de l’État pour gérer la nouvelle
pauvreté.4
Toutes les manifestations ouvertes de la violence sont manipulées de telle façon
que leur présentation quotidienne écrite et en images laisse dans l’ombre leur
véritable sens et leur connexion avec le pouvoir. Le discours social travaille
au niveau de la représentation pour inverser en surface la relation profonde. Le
discours présente les choses comme si la violence commençait avec l’acte du
sujet qui se rebelle ; sont violents ceux qui n’acceptent pas, ceux qui disent
non à l’ordre social. Puis vient la violence de l’État, réponse à la première,
violence secondaire : c’est la répression nécessaire pour sauver la vie et les
biens des honnêtes citoyens, le droit sacré à la propriété, à la vie et au
travail. C’est-à-dire violence bénéfique pour secourir la loi et l’ordre,
l’ordre social.
Nous arrivons ainsi à une autre définition de la violence sociale plus
pragmatique : la violence apparaît comme expression de tout type de comportement
individuel ou groupal qui met en danger l’ordre établi et qui fait intervenir
les forces répressives de l’État. Un tel comportement peut être calme et
pacifique ou brutal et extrême, il violentera la règle imposée ou la soumission
requise.
De toute façon, nous sommes toujours confrontés à deux formes de violence, l’une
qui menace l’ordre, l’autre qui le rétablit. Mais l’opinion normalisée voit
seulement la première comme primitive, originaire, négative et illégitime. Le
discours de l’insécurité reconnaît et signale seulement un type particulier
d’action violente : la violence des opprimés, la seule « illégitime ».
Face à elle, la violence « légitime » de l’État. Même si l’ordre social est
injuste, même s’il génère un horrible désordre (la misère des uns, l’opulence et
la puissance des autres), la violence de l’État, gardien de cet ordre, est
considérée comme légitime et protégée par son Droit et sa Justice. L’État
légitime sa propre violence même quand elle détruit la vie et la sécurité de
millions d’êtres dans les guerres, les massacres et le déplacement de
populations entières.
À l’intérieur de ses frontières, la raison d’État, limite bien connue de la
démocratie 5, justifie la pratique de l’extermination physique, consciente et
méthodique, des opposants politiques, comme l’ont fait à grande échelle le
nazisme et le fascisme, comme l’ont fait Staline et Franco, comme au Chili, en
Argentine, en Iran. Ou, à petite échelle, comme le cas Ben Barka en est
l’exemple. (Si nous considérons une période suffisamment longue, quel pays
serait absent de cette liste ?)
Mais les États n’ont pas seulement le monopole de la violence légitime, ils ont
aussi celui de la force organisée : armée, police, services secrets. Qui serait
de nos jours assez aveugle ou naïf pour ignorer que la torture est une
institution de gouvernement semi-clandestine ?
Même si l’État ne la légitime pas ouvertement, la torture « est essentiellement
le fait des États »6.
«De plus la torture n’est pas une simple exaction localisée, elle est
internationale ; des experts sont envoyés d’un pays à l’autre ; des écoles de
torture justifient et enseignent les méthodes à employer ; des équipements
modernes, conçus et utilisés pour torturer, font l’objet d’un commerce
international.»7
L’éthique de la violence
Nous pouvons penser alors que la violence ne cessera d’exister que si nous – les
hommes et les femmes d’aujourd’hui et de demain – sommes capables de construire
une société non répressive. Dans le monde utopique de l’anarchie, la violence
sociale sera le souvenir du désordre, la marque du vieux monde.
Mais l’anarchie n’est pas seulement l’utopie, elle est fondamentalement la
négation des rapports de pouvoir existants et leur transformation dans un
sens libertaire. Nous devons lutter dans cette société, ici et maintenant, « il
n’y a pour nous ni ciel plus propice ni terre plus fertile ». La violence nous
est imposée comme répression sociale d’abord, comme répression policière ensuite
; enfin, comme impératif inéluctable de la lutte. Parce que l’oppression de
l’État et l’exploitation capitaliste sont les formes typiques de la violence
organisée.
Évidemment, les considérations qui précèdent nous obligent à aborder un problème
qui a été souvent posé à l’intérieur du mouvement anarchiste : l’éthique de la
violence. Cette éthique inséparable de « ce terrible amour de l’humanité » qui
anima « les justes », « les meurtriers délicats », avant que le terrorisme ne
soit devenu « affaire d’État » avec ses bureaux, ses bourreaux et ses agents
salariés.
Préoccupation angélique, la nôtre, franchement éloignée du quotidien du « bon
peuple » préoccupé, lui, s’il a un toit et un boulot, par les misères, les
larcins, la violence et l’insécurité des quartiers où sont relégués les pauvres
de la ville, condamnés aux réflexes frileux d’une vie privatisée. Et, en plus,
pour le moment, notre violence à nous anarchistes est tellement petite et
dérisoire à côté de la violence ouverte ou clandestine des États, que notre
éthique de la violence ne peut être qu’une clameur inaudible.
Mais nos valeurs et notre histoire – peut-être aussi notre futur – nous obligent
: notre politique est foncièrement éthique.
On dit fréquemment que la violence est contraire à l’idéal anarchiste parce
qu’elle introduit une contradiction fondamentale entre moyens et fins :
l’utilisation de la force comme moyen pour obtenir la société libre et
égalitaire est un contresens. Mais ici il y a une erreur catégorielle
importante. Se libérer de l’oppression n’amène pas à la construction d’une
société libre. Pour se libérer de la violence de l’oppression, l’utilisation de
la violence est concordante avec cette finalité. Utiliser la force pour se
libérer de l’oppression est une relation correcte et éthique entre moyens et
fins.
Utiliser la force ou la violence pour construire une société de libres et
d’égaux est une contradiction entre moyens et fins.
Si nous entrons dans le monde humain de la lutte, de l’action, de la décision,
de la complexité et des passions, nous verrons que les deux niveaux de la
libération et de la liberté s’entremêlent, se croisent, se chevauchent et, à la
limite, se conjuguent.
Apparemment claire, l’éthique de la non-violence a un statut très ambigu. Si on
postule la non-violence comme une valeur absolue, elle oblige à l’inaction, au
cénobitisme religieux. On peut toujours violenter quelque scrupule, froisser
quelque pudeur mais, plus sérieusement, on fait violence au tyran si on se
rebelle, on fait violence au patron si on l’empêche de faire tourner son
entreprise (nous avons déjà dit que la violence n’est pas une catégorie
conceptuelle unifiée). Et comment faire la révolution sans violenter personne ?
Si on postule la non-violence comme une stratégie, on s’appuie sur la conscience
morale de l’adversaire, c’est une sorte de chantage aux principes de l’autre.
Elle ne fonctionne ni devant le pouvoir despotique ni devant la raison d’État.
C’est ainsi que le prêche qui condamne par principe la violence ne fait que
légitimer le pouvoir institutionnalisé.
Rébellion et insurrection
Alors, « on a raison de dire que la violence et la révolution appartiennent plus
au vieux monde qu’au nouveau, plus à l’autoritarisme bourgeois qu’à l’anarchisme
prolétaire en ce qu’elles présupposent toujours l’existence de l’autorité contre
laquelle se soulever et combattre ; et en ce que, d’un certain point de vue,
elles-mêmes ont tendance à devenir une manifestation autoritaire » (Fabbri,
1928).
Mais si la violence est liée à la révolution, c’est parce que la révolution est
liée à la société actuelle. C’est à l’intérieur du système capitaliste et
étatique que se développe le mouvement révolutionnaire. Le problème est alors
non pas celui de la violence en elle-même, mais celui de la légitimation de la
violence.
La révolution oppose à l’ordre existant, à l’État capitaliste (État qui, poussé
par la mondialisation du marché, est en train de modifier les bornes de l’État-nation),
un projet, une image d’autres relations sociales, une stratégie du changement.
Mais l’utopie aussi fait partie du monde actuel, en tant que négation, certes,
mais construite sur les mêmes bases historiques que l’imaginaire établi.La
révolution est, fondamentalement, la contestation en acte du régime existant.
Pour les révolutionnaires, la révolution n’est pas une idée abstraite, n’est pas
le Grand Soir, ni un millénarisme, c’est un processus social, collectif, qu’il
faut construire et mettre en place quotidiennement jusqu’à ce qu’on arrive au
moment insurrectionnel et expropriateur qui interrompra la continuité existante.
C’est par rapport à ce « moment insurrectionnel » – qu’en réalité il faut
concevoir comme un processus révolutionnaire décomposé en multiples faits qui
seront reconnus comme « moment de la rupture » seulement dans l’après-coup de
l’Histoire – que la violence acquiert un sens particulier dans le discours qui
la condamne ou la légitime.
L’action violente abstraite, isolée du réseau des relations sociales dans lequel
elle s’accomplit, ne peut être vue qu’à travers de vaines considérations
moralistes : la méchanceté de la violence, le caractère sacré de la vie.
D’accord, et parce que nous aimons la vie, nous ne renonçons pas à la lutte.
Dans la réalité sociale, dans la réalité de la lutte des classes, de
l’oppression gouvernementale et patronale, ce qui différencie la violence
révolutionnaire de la violence d’État, ce qui lui donne son caractère propre, ce
n’est pas la caractéristique de l’acte violent en lui même, ni les
significations attribuées par la manipulation spectaculaire marchande, ni le
fait d’être individuel ou collectif. Ce qui le différencie est son inscription
dans un projet de changement radical de la société, particularité que le
disjoint aussi de la rébellion.
Le prototype de la violence révolutionnaire est la violence collective, l’action
directe dans l’usine, la rue, l’action de masses qui disloque le pouvoir central
et l’oblige à montrer sa véritable face : celle de la violence au service des
privilèges, des fortunes et des hiérarchies.
Une autre forme de violence contre l’État est celle marquée par son caractère
évident de réponse à la répression ouverte. Ce sont les exemples classiques du
prétendu « terrorisme anarchiste », que les anarchistes ont toujours défendu
comme valeur éthique et qui était en rapport avec une époque ou avec un certain
type de société où la violence était personnifiée. Caserio exécuta Carnot parce
qu’il était responsable de la persécution des anarchistes et du meurtre de
Vaillant. Canovas del Castillo était le président du conseil de ministres ; il a
été responsable des assassinats, supplices, tortures appliqués aux prisonniers
de Montjuich. Angiolillo, exilé, travaillait comme typographe ; il décida de
faire le voyage de Trafalgar Square aux bains de Santa Agueda et tua Canovas
d’un coup de feu. Angiolillo est mort par le « garrote vil ». Et Gaetano Bresci,
tisserand, quitta Paterson, New Jersey, pour retourner en Italie et venger les
paysans fusillés par ordre du roi Umberto Ier. Il le tua à Monza. Et Alexandre
Berkman qui attenta à la vie du négrier Frick, responsable de l’assassinat de
onze ouvriers de la Carnegie Steel Company. Et Wilckens qui tua le massacreur
des grévistes de la Patagonie... La liste est longue et, on peut le présumer,
elle n’est pas close.
Dans le monde moderne, dans cette société capitaliste avancée, néo-libérale, de
consommation spectaculaire et de pauvreté croissante, où la représentation
officielle, l’imaginaire autorisé, acquièrent un poids et une inertie
uniformisatrice, les formes de la violence répressive deviennent plus
impersonnelles. Personne n’est responsable du système, on n’est pas responsable
de sa soumission, on est responsable seulement de sa divergence.
Étonnant quand même qu’on ne demande jamais : « Pourquoi êtes-vous conformiste ? » Et on demande toujours : « Pourquoi êtes-vous
révolutionnaire ? »
Eduardo Colombo
1. Pierre Bourdieu : la Domination
masculine. Seuil, Paris, 1998, p. 40.
2. Ibid., p. 7.
3. David Hume : Des premiers principes du
gouvernement [1742], in Cahiers pour l’analyse, n° 6, p. 75. Publiés par le
Cercle d’épistémologie de l’École normale supérieure.
4. Voir les Prisons de la misère de Loïc Wacquant, éditions Raisons d’agir,
Paris, 1999.
5. Platement reconnue par le ministre de l’Intérieur français Charles Pasqua
(1993) : « L’état de droit s’arrête là où commence la raison d’État. »
6. Amnesty international. Rapport sur la
torture. Gallimard, 1974, p. 22.
7. Ibid., p. 21.