La servitude volontaire

Xavier Bekaertt

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Immortalisé par son amitié avec Montaigne, l’humaniste Étienne de La Boétie (1530-1563) est également connu pour son Discours de la servitude volontaire rédigé, selon Montaigne, « en sa première jeunesse, à l’honneur de la liberté contre les tyrans » (toujours selon Montaigne, le Discours aurait été écrit par La Boétie entre seize et dix-huit ans. En considérant la maturité du texte, il semble néanmoins concevable qu’il ait été remanié plus tard lorsque La Boétie était étudiant à l’université d’Orléans).
Cet écrit fut utilisé comme texte militant (sous l’appellation de Contr’un) à maintes reprises dans l’histoire de France lorsque le peuple se rebellait contre l’autorité monarchique. La puissance subversive de la thèse développée dans le Discours ne s’est jamais démentie. Même s’il serait anachronique de la qualifier d’anarchiste, cette thèse si originale et si moderne résonne encore aujourd’hui dans la réflexion libertaire sur le principe d’autorité.
Le jeune humaniste bordelais recherchait une explication à l’étonnant et tragique succès que connaissent les tyrannies de son époque. S’écartant de la voie traditionnelle, La Boétie porte son attention non sur les tyrans mais sur les sujets privés de leur liberté. Et il pose une question troublante : comment peut-il se faire que « tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent ? »
L’originalité de la thèse de La Boétie est contenue tout entière dans l’association paradoxale des termes de « servitude » et de « volontaire ». Contrairement à ce que beaucoup s’imaginent, la servitude ne serait pas forcée,
elle serait toute volontaire. Comment concevoir autrement qu’un petit nombre contraigne l’ensemble des autres citoyens à obéir aussi servilement ?
« Il est vrai qu’au commencement on sert contraint et vaincu par la force ; mais ceux qui viennent après servent sans regret et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte. »
En effet, tout pouvoir, même quand il s’impose d’abord par la force des armes, ne peut dominer et exploiter durablement une société quelconque sans la collaboration (active ou résignée) d’une fraction notable de ses membres. Trois siècles plus tard, les propos cinglants de l’anarchiste Anselme Bellegarrigue feront encore écho à cette thèse.
« Vous avez cru jusqu’à ce jour qu’il
y avait des tyrans ? Eh bien, vous vous êtes trompés, il n’y a que des esclaves :
là où nul n’obéit, personne ne commande. »
Mais le Discours ne se réduit pas à cette clairvoyante analyse de la domination par une minorité au moyen de la passivité complice de la majorité ; l’adolescent épris de liberté y lance un bouillant appel à l’insoumission contre les despotes. En dénonçant la servitude volontaire des peuples, il livre par la même occasion le talon d’Achille de toutes les tyrannies et propose une issue. Puisque « ce ne sont pas les armes qui défendent le tyran » mais le peuple qui s’asservit lui-même par sa docilité, il devrait être possible de se libérer du joug de l’oppresseur, même sans la force des armes. Car « les tyrans, plus ils pillent, plus ils exigent » et « plus on les sert, plus ils se fortifient », par contre « si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien ».
La Boétie fut ainsi un des premiers
à prétendre qu’il était possible de résister à l’oppression autrement que par la
violence. Puisque l’autorité construit principalement son pouvoir sur l’obéissance que les opprimés consentent, une stratégie de résistance sans violence est possible, en organisant collectivement
le refus d’obéir ou de collaborer. C’est sur cette base que se construiront les nombreuses luttes de désobéissance civile que le xxe siècle a connues et qui ont,
entre autres, conduit à l’effondrement pacifique de nombreuses dictatures.
« Soyez résolus de ne servir plus et vous voilà libres. »
Voilà l’enseignement indispensable que La Boétie nous a laissé.

Xavier Bekaert

& Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Payot, Paris, 1976.
& Hem Day, Étienne de La Boëtie. Aperçu sur sa vie et son œuvre, Pensée et Action, Paris-Bruxelles, 1954
& Montaigne, les Essais, Livre I, chap. XXVIII, 1580.