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Projet d’économie socialiste libertaire :
l’économie participative

Miguel Chueca

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Le projet auquel nous consacrons la présente note – trop sommaire, sans aucun doute – a été élaboré à partir du début des années 1990 par deux économistes « radicaux » américains, Michael Albert et Robin Hahnel. La formule choisie par eux pour lui donner un nom – « participatory economics » ou « parecon », en abrégé – procède en droite ligne du mot d’ordre de « démocratie participative » lancé par la « nouvelle gauche » américaine entre les années 60 et 70. Ils ont exposé leur projet dans deux volumes complémentaires, The Political Economy of Participatory Economics et Looking Forward, parus l’un et l’autre en 1991, où ils démontrent la possibilité d’une autre économie, qui fonctionnerait sans marchés et sans planification autoritaire ou centralisée.
Pour M. Albert et R. Hahnel, une économie ne peut être qualifiée de bonne que si elle répond à ces cinq critères évaluatifs – efficacité, équité, autogestion (« self-management »), solidarité et variété – auxquels tente de satisfaire l’économie participative. Les institutions de base de cette nouvelle économie sont les conseils de travailleurs et les conseils de consommateurs. L’institution des premiers, toutefois, ne peut servir à elle seule à assurer l’égale participation de tous aux décisions, puisque la division entre conception et exécution, entre tâches nobles et tâches subalternes, va entraîner par force une coupure entre ceux qui ont le plus d’informations et les autres, et déboucher, tôt ou tard, sur l’accaparement du pouvoir par des « coordonnateurs », à l’instar de ce qui s’est passé dans les sociétés du « socialisme réel ». Contre cette tendance toujours menaçante, les auteurs imaginent la mise sur pied de « Balanced Job Complexes » – que Normand Baillargeon a proposé de traduire par « ensembles équilibrés de tâches » –, où chacun devrait pouvoir participer à la fois aux tâches les plus plaisantes et les plus déplaisantes, aux tâches intellectuelles et manuelles.
Quant à la rétribution du travail, les auteurs rappellent qu’elle peut se faire selon les quatre maximes qui suivent : le paiement en accord avec la contribution de chacun et la contribution de la propriété, le paiement d’après la seule contribution personnelle, le paiement selon l’effort fourni et, enfin, le paiement selon les besoins de chacun. Le projet « participatif » rejette les maximes 1 et 2, l’une parce qu’elle accorde trop d’importance à des avantages inéquitables qui ne doivent rien au sacrifice personnel et l’autre à cause de l’impossibilité de déterminer l’apport de chacun au procès de travail. Une fois écartée la maxime 4, qui se situe pour M. Albert et R. Hahnel au-delà du principe d’équité, leur choix s’arrête au paiement selon l’effort (exécution de tâches déplaisantes, dangereuses, intenses, horaires plus chargés), lequel ne dépend ni de la formation, ni de l’entraînement, ni du talent hérité à la loterie génétique.
S’agissant de l’allocation des ressources, elle n’est laissée ni aux marchés ni à une planification assurée, de haut
en bas, par un groupe d’« experts » et
de bureaucrates, mais elle se fait peu à peu par ajustements successifs des demandes des conseils de consommateurs et des offres des conseils de travailleurs – aidés par des bureaux techniques d’information – jusqu’à l’établissement, de bas en haut, d’un plan qui satisfasse l’immense majorité des uns et des autres, sans qu’il soit besoin de recourir à de quelconques institutions étatiques. C’est en ce sens que l’économie participative s’inscrit explicitement dans la tradition de pensée du socialisme libertaire (« l’idée de “producteurs associés” déterminant démocratiquement leur propre plan n’est pas plus originale pour nous que la théorie des conseils de travailleurs et de consommateurs »,
écrivent M. Albert et R. Hahnel dans
The Political Economy of Participatory Economics), dont elle présente une sorte de mise à jour, permise en particulier par le recours au traitement informatique des données économiques. Elle se distingue néanmoins d’autres modèles classiques par le rôle que ses promoteurs souhaitent voir jouer à la monnaie et aux prix, avec un tout autre sens cependant que dans les économies capitalistes. La « monnaie de compte » permet de mesurer le « sacrifice personnel » de chaque travailleur et autorise chacun à « gagner » plus ou moins pour consommer à proportion de ses goûts. Quant aux « prix indicatifs », ils sont chargés de déterminer les coûts sociaux réels des produits, en tenant compte – mieux que ne le font les prix du marché – des vraies préférences des gens, des contraintes technologiques, de la rareté des ressources.
Comme on peut le supposer, un tel projet – fondé sur le postulat qu’une économie peut fonctionner sans recourir aux mécanismes du marché – a été ignoré de l’immense majorité des économistes. Les objections et critiques sont venues principalement des néo-marxistes anglo-saxons défenseurs du « socialisme de marché » ou d’autres penseurs plus radicaux (dont Takis Fotopoulos, animateur de la revue Democracy and Nature) et ont porté tant sur la viabilité que sur la valeur du modèle. Dans son livre Thinking Forward, Michael Albert a répondu, de façon très convaincante, à nombre de ces remarques. En revanche, les défenseurs du projet, si soucieux de précisions quant au fonctionnement de l’économie participative, n’ont pas une position tranchée sur les moyens d’y accéder, bien qu’on admette que – pour le dire avec les mots de Brian Dominick – « il est ridicule d’imaginer qu’un gouvernement quelconque pourrait favoriser une économie qui exclut largement, voire totalement, toute intervention de l’État » et qu’un tel projet « ne pourra être réalisé que par des moyens en accord avec de telles fins ».

Miguel Chueca

Normand Baillargeon, dans son article « Une proposition libertaire : l’économie participative » (« Agone », n° 21, 1999) a insisté sur ce que le projet participatif doit à l’héritage libertaire. Sur le rapport entre anarchisme et « parecon », on lira la contribution de Brian Dominick, « Parecon, Anarchy and Politics » (site www. parecon.org).


& The Political Economy of Participatory Economics, Michael Albert and Robin Hahnel, Princeton University Press, Princeton, 1991.
& Looking Forward, Participatory Economics for the Twenty First Century, Michael Albert and Robin Hahnel, 1991, South End Press, Boston, 1991.
& Thinking Forward, Learning to Conceptualize Economic Vision, Michael Albert, Arbeiter Ring Publishing, Winnipeg, 1997.