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Mujeres Libres

Miguel Chueca

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Avec ses 20 000 militantes, le groupe Mujeres Libres pourrait passer pour la plus grande organisation anarcho-féministe qui ait existé à ce jour si ses animatrices n’avaient précisément refusé de se réclamer du féminisme – qu’elles tenaient pour un « masculinisme » inversé – pour se revendiquer d’un « humanisme intégral » visant à assurer l’équilibre entre les deux sexes. C’est ce qu’elles affirmaient dès la fondation de la revue du même nom, en reprenant les critiques formulées au début des années 20 par Federica Montseny à l’encontre du féminisme, stigmatisé pour avoir cru en la possibilité d’une égalité entre hommes et femmes dans le cadre de la société établie.
S’il fallait trouver une filiation à ce mouvement, ce n’est pas dans les faibles, et peu radicales, organisations féministes espagnoles qu’il faudrait aller le chercher, mais dans les groupes de propagande néo-malthusiens qui apparaissent dans le pays au début du xxe siècle, liés pour la plupart au mouvement anarchiste. C’est dans ce courant, qui prône la « maternité consciente », le droit à la contraception et à l’avortement, que s’exprime le véritable féminisme radical espagnol. Ce néo-malthusianisme d’inspiration libertaire va se prolonger pendant plusieurs décennies ; il inspire la création, en 1923, de la revue Generación Consciente (postérieurement Estudios), qui comptera sur la collaboration de certains médecins très liés à l’anarchosyndicalisme, dont Pedro Vallina et le fameux Isaac Puente. En 1932, un groupe fonde, à Valence, la publication Orto, où la question de la procréation consciente et volontaire occupe une place primordiale. Au nombre de ses collaboratrices, figure Amparo Poch Gascón, femme médecin de convictions anarchistes, qui sera une des cofondatrices de Mujeres Libres.
Si la création de l’organisation s’inscrit dans le droit fil de la lutte des groupes néo-malthusiens et/ou anarchistes pour une sexualité libre, elle est également indissociable de la vie interne de la CNT. Fidèle à la tradition du mouvement libertaire espagnol, celle-ci a incorporé dans ses demandes, dès 1931, le droit de la femme à un salaire égal pour un travail égal. En 1936, dans le rapport adopté au cours de son IVe Congrès, le syndicat affirme que la dépendance de la femme à l’égard des hommes disparaîtra avec le capitalisme. Cependant, certaines de ses militantes remettent en cause le comportement de leurs compagnons, « si radicaux dans les cafés, dans les syndicats, et même dans les groupes [de la FAI] », mais qui « ont pour habitude de laisser à la porte de chez eux leurs habits de partisans de la libération féminine et se conduisent avec leur compagne comme de vulgaires maris ».
Le mouvement naît d’une confluence entre un groupe de femmes cénétistes de Barcelone, le Grupo Cultural Femenino-CNT, formé à la fin de l’année 1934, et un groupe madrilène, intégré principalement par des intellectuelles, la poétesse Lucía Sánchez Saornil, l’avocate Mercedes Comaposada et Amparo Poch Gascón. Celles-ci seront la cheville ouvrière de la revue Mujeres Libres, dont le premier numéro paraît en mai 1936. C’est cette même année que chaque groupe connaît l’existence de l’autre et qu’ils décident, quelques mois plus tard, de mettre leurs forces en commun et de constituer, en août 1937, la Agrupación de Mujeres Libres comme fédération nationale. À dire vrai, les deux groupes s’étaient assigné, à l’origine, des objectifs assez différents : le groupe barcelonais souhaitait encourager les femmes affiliées à la CNT à un engagement plus fort dans le syndicat alors que le madrilène voulait, selon les propres mots de Mercedes Comaposada, « former des femmes qui puissent savourer la vie dans toute sa plénitude. Des femmes dotées d’une conscience sociale, certes, mais qui sachent aussi apprécier l’art, la beauté ». Le contexte créé par le coup d’État militaro-fasciste va transformer le ton de la revue, qui s’identifie de plus en plus avec les visées révolutionnaires de la CNT.
Mujeres Libres n’est pas, notons-le, la seule organisation de femmes présente dans le camp dit républicain. Le POUM a constitué un Secrétariat féminin, strictement dépendant du parti, mais l’organisation numériquement la plus importante est l’AMA (Agrupación de Mujeres Antifascistas), dirigée en sous-main par le PCE, dont la raison d’être est d’assister les combattants et de contribuer à l’effort de guerre contre le fascisme, auquel tout le reste doit être subordonné. L’organisation Mujeres Libres ne néglige pas cet aspect de la lutte, mais ses militantes souhaitent œuvrer aussi à une véritable transformation des rapports sociaux, qui ne se conçoit pas sans la lutte contre l’assujettissement des femmes.
Si la « captation » des femmes, leur incorporation active au mouvement révolutionnaire, est un de ses objectifs déclarés, l’autre est la mise sur pied de programmes en vue de l’habilitation (en espagnol, la capacitación) des femmes. Si on s’emploie à les informer sur la maternité et l’éducation des enfants, on cherche aussi à en faire des participantes à part entière à la société, en luttant contre leur subordination culturelle – l’analphabétisme est encore très présent à l’époque parmi les femmes du peuple – et sociale, en programmant des activités d’éducation et d’apprentissage. Les questions proprement sexuelles seront peu abordées pendant les années de guerre, si ce n’est par le biais de la prostitution, dont la suppression est tenue pour une priorité par les militantes de l’organisation. On envisage, à cette fin, l’institution d’un réseau de « liberatorios de prostitución », chargés de permettre aux prostituées d’envisager une autre vie, libérée de « la plus grande des servitudes ». Il s’agissait, comme on le voit, d’efforts de longue haleine, que les circonstances liées à l’état de guerre, puis la victoire des « nationaux » – qui allait ramener la condition des femmes espagnoles à des dizaines d’années en arrière – ne permirent pas de mener à terme.
Si Mujeres Libres put compter sur l’aide du mouvement libertaire, l’organisation ne parvint pas à être reconnue, selon le souhait de ses représentantes, comme une de ses composantes, à côté du syndicat, de l’organisation spécifique et de la Fédération des jeunesses (FIJL). Les arguments allégués en ce sens auraient peut-être pesé un peu moins si les militants de la CNT avaient été un peu plus au fait, pendant la guerre, des activités de Mujeres Libres. Il ne semble pas qu’on ait fait grand-chose, ensuite, pour remédier à cette ignorance, comme l’atteste la somme de quelque mille pages de José Peirats, la CNT en la revolución española, où Mujeres Libres est citée... trois fois, en tout et pour tout.
La reconnaissance de leurs efforts viendra bien plus tard, dans le sillage des mouvements féministes radicaux des années 70, grâce au travail d’universitaires américaines, Mary Nash puis Martha Ackelsberg, qui aideront à (re)découvrir la lutte des combattantes libertaires espagnoles pour l’émancipation des femmes et à leur rendre la place qui leur est due.

Miguel Chueca

& Free Women of Spain, Anarchism and the Struggle for the Emancipation of Women, Martha Ackelsberg, Indiana University Press, 1991 (le livre a été traduit en espagnol par la maison d’édition Virus en 1999).
& Mujeres Libres, España 1936-1939, textes présentés par Mary Nash, Tusquets, Barcelone, 1975 (traduction française aux éditions La Pensée sauvage, 1977).
& Rojas. Las mujeres republicanas en la Guerra Civil, Mary Nash, Taurus, Madrid, 1999
& Mujeres Libres. Luchadoras Libertarias (textes choisis et témoignages), Fundación de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, Madrid, 1999 (traduction aux éditions du Monde libertaire).