« Pour faire la révolution, il est indispensable que
le peuple ait un idéal commun, né des profondeurs de l’instinct populaire
et formé historiquement ; nourri, développé, éclairé par toute une série
d’événements significatifs, d’expériences amères et dures ; il est
nécessaire qu’il ait une idée générale de son bon droit et une foi
profonde, passionnée, voire religieuse, en ce droit. »
Bakounine, État et Anarchie
Dans sa formulation classique, le droit est une règle de vie imposée par
la société organisée aux individus en vue de la réalisation du bien
commun. Ou encore un instrument social destiné à jouer un rôle régulateur
dans la société en vue d’harmoniser autant que possible les relations des
individus entre eux, des individus et des groupes, et plus généralement de
la collectivité comme telle. En introduisant des règles valables pour tout
le monde, le droit nous délivrerait de l’incohérence oppressive des
arbitraires individuels, fonctionnant comme un instrument de stabilité de
la société.
Mais au profit de qui ? Un rapide survol historique nous fait apparaître
le droit comme l’expression et la forme par lesquelles l’État et les
autres systèmes de pouvoir se sont organisés et exprimés. Partie prenante
de l’idéologie et de la pratique de la domination, il a généralement été
considéré comme un simple instrument au service des classes dominantes sur
fond d’autorité et de hiérarchie. On parle beaucoup actuellement d’« État
de droit ». Mais notre société démocratique, basée sur le primat de la
majorité acquise dans le cadre du
suffrage universel, émanation d’une pseudo-volonté générale, sous-tend un
ordre politique qui se constitue sur le droit des uns à gouverner les
autres, légitimant et perpétuant l’injustice sous le masque de la loi
égalitaire :
« La loi est la même pour tous ; elle interdit aux riches comme aux
pauvres de coucher sous les ponts. »
Anatole France
En outre sa complexité croissante fait du droit un domaine réservé aux «
spécialistes », seuls capables de l’expliciter... dans l’intérêt de ceux
qui les emploient. Le droit en vient donc à fonctionner comme une vis sans
fin, fondé en outre sur des catégories et des instances telles que
l’obligation, la culpabilité, la coercition, la peine et l’interdiction
qui sont rejetées en grande partie, voire en totalité par les anarchistes.
En effet, pour ces derniers la finalité est tout autre : il s’agit du
bonheur entendu comme l’activité théorique et pratique la plus conforme à
l’intelligence qui fonde l’essence de l’homme. L’éducation aidant, le
droit se résumera alors à un ensemble de règles de conduites purement
fonctionnelles, élaborées et proposées par décision collective et
librement acceptées, basées sur les principes effectifs et conjugués de
liberté, d’égalité et de solidarité.
Mais pourquoi ne pas aller encore plus loin en prônant le dépérissement du
droit au profit de la volonté commune afin de « créer une société dans
laquelle des êtres humains autonomes pourront collectivement se gouverner
dans l’autonomie » ? (Cornelius Castoriadis)
Jean-Jacques Gandini
|