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L’écologie

Alain Thévenet

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D’abord, l’écologie, ce n’est pas seulement son apparition européenne et politicienne, qui paraît parfois vouloir en faire une chasse gardée. Là, même lorsque ses origines sont beaucoup plus radicales, écologie politique signifie bien souvent lutte politicienne. Or, ici comme ailleurs, chercher à obtenir des places de députés ou de ministres, et penser ainsi permettre la représentation d’aspirations est évidemment une illusion. Tout ce qui peut ainsi être représenté, ce sont des intérêts et des intérêts qui s’identifient le plus souvent à la crainte
de la perte de situations acquises. En outre, la politique « politicienne », dans un souci électoraliste fait généralement l’économie de la dimension philosophique, pourtant toujours présente et, dans le but de gagner le plus de voix possibles, s’adresse au plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire à la peur. Dans ce cas, celle-ci s’exprime par une « défense de l’environnement ». Ce qui signifie qu’il y a d’une part l’homme, et tout autour la nature, les animaux, etc. qui l’environnent. Par conséquent, ça ne change pas l’idée dominante de notre culture : il y a, au centre de tout, l’homme qui, on ne sait trop pourquoi, peut-être parce que Dieu lui a délégué ce pouvoir, dispose de tout ce qui l’environne à sa guise et pour son profit. Il peut le faire bêtement, en consommant à tout prix, au risque de tout détruire.
Il peut le faire intelligemment en protégeant cet environnement pour le conserver, afin qu’il lui soit le plus agréable possible, ainsi qu’aux générations à venir, et c’est là la pensée d’une certaine écologie. En poussant à
l’extrême, et c’est une dérive possible (qui n’est pas cependant celle des Verts ni des autres Grünen), on peut penser aussi que ce qu’il faut protéger, c’est l’environnement tel qu’il était, lorsque nous l’avons trouvé, ou tel qu’il
fut dans des temps mythiques, et que par conséquent, la présence de ceux dont la peau n’a pas la même couleur que celle de nos lointains ancêtres n’est pas souhaitable. Et puis on peut se dire aussi que, puisque c’est la domination qui est première, il est logique que les forts dominent les faibles. Je le répète, ce n’est pas là la pensée de la plupart des « écolos » européens. Mais c’est une tendance possible de ce qu’on nomme avec la plus grande confusion les « préoccupations écologiques ». 1
À l’inverse, et c’est une dérive qu’on trouve surtout outre-Atlantique, on peut faire de la nature une déesse, la déesse Gaïa, aux ordres de laquelle il faut se plier sans discernement. Ainsi, certains en arrivent-ils à penser et à dire que si le continent africain est menacé de perdre une grande partie de sa population, par l’effet de la famine et du sida, ce n’est que l’effet d’une loi naturelle de régulation écologique, reprenant ainsi les thèses les plus détestables de Malthus.
Cependant, il n’est pas possible de faire l’économie d’une réflexion quant à la place de l’homme dans la nature, ne serait-ce que parce que cela renvoie aussi à la place des hommes les uns par rapport aux autres. Du reste, depuis ses origines, le mouvement anarchiste, ou en tout cas certaines de ses composantes ont été sensibles à cet aspect des choses, soit à travers des apparitions qu’on a tendance à juger marginales, comme le naturisme, ou les projets d’installer en Amérique (terre alors jugée « vierge ») des colonies.
Mais, dès l’origine d’une pensée anarchiste spécifique, c’est-à-dire dès la fin du xviiie siècle, et singulièrement dans l’œuvre de William Godwin, cette préoccupation est déjà présente. Dans l’Enquête sur la Justice politique, Godwin hésite encore entre une glorification de l’homme maître de la nature, au sein de laquelle il peut trouver les instruments d’un progrès indéfini de l’humanité, et la recherche d’une loi naturelle dans laquelle l’évolution de l’espèce humaine devrait s’inscrire. Mais, dans ses œuvres ultérieures, il tend de plus en plus à rechercher ce à quoi, dans la marche de l’univers, se rattache le fonctionnement possible des sociétés humaines et, en conséquence, laquelle serait la plus
souhaitable. Cette préoccupation est constante chez tous les penseurs de l’anarchisme. Elle est évidente par exemple chez Élisée Reclus, dont on sait qu’il place en exergue de l’Homme et la Terre, la phrase « L’homme est la nature prenant conscience d’elle-même ». Mais on la retrouve aussi, latente, dans la plupart des écrits de Bakounine et explicite dans l’appendice à l’Empire knouto-
germanique, intitulé Considérations sur le fantôme divin. 2 Rien d’étonnant à cela.
Si l’on récuse l’hypothèse du libre arbitre, on en vient à se tourner vers la recherche d’une loi naturelle, parfois appelée déterminisme, mais qui, dans ce cas, prend une signification moins étroite que celle qu’on lui accorde généralement. La liberté, dans un sens proche de celui que lui donne Spinoza, est alors la possibilité la plus large possible de réaliser les virtualités qui sont en soi, et ces virtualités sont liées à tout ce qui nous environne et tout ce qui nous a précédés. Dans une optique anarchiste – mais alors l’anarchisme se rattache à un courant philosophique beaucoup plus large qui va de Spinoza à Simondon, par exemple –, la recherche d’une loi naturelle n’est pas la recherche d’une nature spécifique à l’être humain qui lui donnerait des droits sur le reste du monde vivant, mais le souci de l’articulation et du lien entre la condition humaine (au sens de condition dans laquelle il se trouve), et l’ensemble de la nature. L’espèce humaine possède certes des spécificités, mais celles-ci n’impliquent aucune supériorité.
Aujourd’hui, c’est à travers l’écologie sociale que cette préoccupation est la plus évidente. Murray Bookchin a montré à quel point que ce qui était premier dans le système étatique et capitaliste, c’était la domination et qu’en ce sens, domination des autres hommes et domination de la nature relèvent de la même logique. Dans une optique proche de celle que défendait jadis Kropotkine, il préconise le municipalisme libertaire, c’est-à-dire une organisation politique et sociale écologique partant de communautés naturelles (par exemple, le quartier) et les relations naturelles de coopération entre celles-ci. Il tente ainsi de redonner une valeur à la notion de citoyenneté. Toujours dans le domaine de l’écologie sociale, John Clark estime cependant que le municipalisme libertaire ne peut être conçu comme la seule solution et que Murray Bookchin néglige trop les aspects économiques et sociaux dont témoigne, par exemple, la division en classes. Il met en avant, de son côté, comme possibilité d’unité naturelle fonctionnelle, la notion de « surrégionalisme », c’est-à-dire de régions aux frontières souples et fluctuantes qui incluraient les réalités « naturelles » et humaines, sans que les unes puissent être séparées des autres. Sur un plan philosophique, il reproche à Bookchin de trop faire appel à la causalité et estime nécessaire de rétablir un certain holisme qui considère le tout comme indivisible. Tout en reconnaissant l’importance de la notion de domination, il refuse de considérer les différentes formes que prend celle-ci sous l’angle d’une simple causalité. Ce n’est pas parce que les hommes ont pris l’habitude de se dominer entre eux qu’ils dominent aussi la nature, ni le contraire, mais il s’agit, dans les deux cas, de la même domination.
En tout état de cause, il est évident que les préoccupations écologiques, au sens large du terme, ne sont pas seulement un aspect nécessaire de l’anarchisme, mais qu’elles en constituent un fondement essentiel. 3 La nature, de ce point de vue, en y comprenant la nature humaine, n’est pas figée comme une déesse intemporelle, mais elle est la vie même, une vie dont participent les hommes. Ceux-ci, en tant qu’ils font partie de l’espèce humaine possèdent des caractères spécifiques. Une telle spécificité n’implique aucune supériorité ni aucun droit, mais implique au contraire le devoir de favoriser et d’élargir le plus possible, dans la mesure de leurs moyens, cette vie.

Alain Thévenet

1. Il faut cependant remarquer qu’en dehors des cercles politiciens, de nombreux écologistes s’interrogent plus profondément sur le sens de leur engagement. C’est le cas par exemple de la revue Silence.
2. « Tout ce qui est, les êtres qui constituent l’ensemble indéfini de l’univers, toutes les choses existantes dans le monde [...] exercent nécessairement et inconsciemment, soit par voie immédiate et directe, soit par transmission indirecte, une action et réaction perpétuelle ; et toute cette quantité infinie d’actions et de réactions particulières, en se combinant en un mouvement général et unique, produit et constitue ce que nous appelons la vie, la solidarité et la causalité universelle, la nature. » (Bakounine, « Considérations philosophiques sur le fantôme divin, sur le monde réel et sur l’homme », in Œuvres complètes, volume viii, Champ libre, 1982, p. 193).
3. « Contre les lois de la nature, pour l’homme, il n’est point de révolte possible ; par cette simple raison qu’il n’est lui-même qu’un produit de
cette nature et qu’il n’existe qu’en vertu de ces lois. Se révolter contre elle serait donc de sa part une tentative ridicule, une révolte contre soi-même, un vrai suicide. » (Ibid., p. 359)