Dans l’actualité, il est désormais beaucoup question de manifestations
violentes de la part de jeunes, en particulier dans les établissements
scolaires. Mais nous n’entendons guère, à ce propos, que le discours du pouvoir.
Or celui-ci ne peut être que trompeur. En effet, du point de vue de l’idéologie
– du système de représentations dont se sert un pouvoir social pour se
pérenniser –, la violence est toujours un épiphénomène. Et, à ce titre, elle
doit être traitée localement. Ainsi, face à la multiplication des actes violents
dans l’institution scolaire, les responsables politiques s’attachant à mettre en
évidence des « cas » particuliers (tels les fameux « problèmes des banlieues »),
proposent un « plan » de lutte ciblant les « établissements à problèmes » 1.
Mais, du point de vue d’une pensée rigoureuse, dans l’exacte mesure où elle
devient un problème social, c’est-à-dire un problème suffisamment général pour
exiger une réponse politique, la violence n’est jamais un épiphénomène. Que
l’État soit requis à intervenir signifie en effet qu’elle ne peut plus être
référée à la contingence des passions humaines, mais qu’elle est le symptôme
d’une déficience dans l’état social lui-même. Il apparaît ainsi qu’il y a un
paradoxe intrinsèque de la visibilité publique de la violence : le discours que
l’on tient sur elle est contradictoire avec la raison même qui oblige à en
parler. Cette contradiction en dénote une plus profonde : la violence comme
problème social est toujours un défi que le pouvoir établi ne peut reconnaître
car il remet en cause le système des relations sociales dont il se nourrit.
Il revient donc à une pensée non partie prenante dans ces relations de pouvoir,
à une pensée désintéressée, dont, entre autres, les philosophes revendiquent la
prise en charge, d’investir ce problème de la multiplication actuelle des
manifestations de violence émanant des jeunes générations. Elle seule peut le
placer au niveau où il doit l’être : comme symptôme d’une fragilisation du tissu
social.
Violence inédite
Une telle pensée est alors obligée de commencer par constater le caractère
absolument inédit de ces formes actuelles de violence. Il ne s’agit pas de cette
violence bien connue, masculine, collective, émergeant dans des circonstances
bien particulières (manifs, fêtes, etc.). Sont concernés aussi bien les filles
que les garçons, et toutes les classes d’âge de la jeunesse socialisée ; et ces
actes peuvent se produire dans les situations de tension les plus banales de la
vie sociale (une mauvaise note, un simple refus de collaboration, etc.). Cette
violence ne peut pas davantage être réduite comme expression de groupes sociaux
« à risques », ou pathogènes, parce que situés en porte-à-faux du consensus
social ou voués à une marginalité irrémédiable : divers événements montrent
qu’elle peut venir de personnes ayant donné, par ailleurs, tous les signes d’une
socialisation normale. Il s’agit d’une violence inassignable 2.
Mais ce qui surprend par-dessus tout, dans ces nouvelles formes de violence,
c’est la facilité d’un passage à l’acte qui n’est empêché ni par la futilité du
motif, ni par la conscience d’un interdit qui devrait normalement s’interposer.
Ce qui frappe, c’est l’absence de toutes ces puissantes raisons – telles la
rébellion sociale, la rivalité, la vengeance, ou autres emportements passionnels
– que l’on s’attend à trouver derrière l’acte violent, et qui justifient que les
digues de la socialité 3 aient été rompues. La violence actuelle se donne comme
arbitraire.
Tel est le sentiment de profond étonnement qui requiert de notre part un effort
d’élucidation : une forme de violence inédite est apparue qui, étant à la fois
inassignable et arbitraire, récuse toutes les catégories explicatives
habituelles. Tout se passe comme si le lien social était resté trop faible,
insuffisamment constitué, et qu’il ne pouvait résister à certaines poussées du
désir qui sont
par ailleurs anodines. Nous en ferons notre hypothèse de départ : la violence
actuelle relèverait d’un déficit de socialité touchant particulièrement les
jeunes générations. Pour l’étayer, il convient de mettre au jour un lien entre
cette insuffisance et les conditions dans lesquelles, actuellement, les
individus accèdent à la vie sociale.
En ce point, on ne peut se dispenser d’admettre cette thèse toute simple : la
massivité des changements dans l’environnement social des enfants, depuis deux
décennies, a eu des conséquences négatives sur la qualité de leur socialisation.
Il n’est pas question, bien sûr, d’établir des déterminations strictes entre ces
changements sociaux et des comportements violents. Nous sommes ici dans
l’humain, et ce qui se passe entre la réception d’un stimulus et l’adoption d’un
comportement relève d’un processus infiniment riche et complexe échappant de
droit à toute mise à plat rationnelle, ne serait-ce que parce que jouent ici un
certain nombre de médiations imaginaires qui sont les ressorts même de la
motivation humaine, et qui garderont toujours une part d’indéterminé que l’on
est fondé à considérer comme la part de liberté. Que l’on accepte simplement nos
propositions comme la mise au jour de tendances, de corrélations, qui ne sont
intéressantes que dans la mesure où elles mettent un peu plus de lumières sur
des phénomènes jusqu’à présent trop restés dans l’ombre, et permettent ce
faisant d’alimenter la réflexion collective.
Enfance et espace
Ce qui frappe d’abord, au simple niveau perceptif, c’est un processus de retrait
de l’enfance de l’espace. Il s’agit d’un changement profond du paysage humain.
Pour le ressentir, regardons les tableaux de vie quotidienne de la peinture à
l’âge classique, tels un Murillo, ou un Brueghel : il y avait des enfants
partout ! C’est sans doute une pulsion propre à l’enfance que sa diffusion dans
tous les interstices des espaces sociaux ; on peut la comprendre comme
l’aboutissement du mouvement (au sens propre !) fondamental du processus de
maturation de l’enfance qui est, à partir de l’état initial de gisant,
appropriation sans cesse poussée plus avant de l’espace. Cette irrigation
enfantine de l’espace ne semble plus fonctionner. L’espace se ferme aux enfants.
Il y a eu perte dans les espaces de jeux extérieurs au foyer familial
disponibles. Les espaces encore non déterminés (terrains vagues) ont souvent
disparus ; les espaces publics se sont restreints (diminution des lieux piétons,
accaparement d’espaces par les véhicules automobiles) ou se sont policés (comme,
entre autres, les espaces voués au commerce), devenant dissuasifs pour
l’ouverture imaginaire du jeu. En fait, les lieux publics accueillant pour
l’enfant, sont maintenant presque totalement confinés (école, centres aérés et
de vacances, activités du mercredi après-midi, etc.). Le domaine ludique s’est
trouvé de manière prépondérante enfermé dans le foyer familial, se développant
principalement sous la forme d’un espace virtuel (celui des écrans), encore
inconnu il y a quelque quarante ans, où le corps de l’enfant sousvit (de
sousvivre, si l’on permet ce néologisme construit sur le modèle de survivre).
Ces nouveaux usages de l’espace signifient pour l’enfant un appauvrissement
relationnel. Car, dans le même temps où les lieux ouverts au brassage social
s’effaçaient, la distribution spatiale de l’habitat évoluait elle-même dans le
sens d’une ségrégation accrue. Par exemple l’unité d’agglomération de type
villageoise, qui faisait cohabiter la plus grande variété de statuts sociaux, a
disparu au profit des « quartiers » déterminés par l’homogénéité d’un niveau
social. D’autre part, même dans les institutions ouvertes par vocation à
l’ensemble du champ social, des procédures de ségrégation sociale (souvent
implicites) se sont mises en place, comme dans l’accès aux établissements
scolaires, aux centres de vacances, etc. Et nous savons que la mobilité sociale,
dans l’accès aux professions, a clairement reculé depuis vingt ans. À quoi il
faut ajouter, pour le plus grand nombre d’enfants, la quasi-disparition de la
famille élargie de l’horizon quotidien et, pour une part non négligeable, la
monoparentalité. Enfin, le tête-à-tête avec l’écran et ses personnages virtuels
et modélisés tient lieu, de plus en plus, de vie relationnelle.
Imaginaire imposé
Si nous voulons approfondir la signification de ces transformations, il faut en
considérer l’aspect mental. Il semble que, plus que jamais, l’enfant soit à la
merci de l’envahissement par l’imaginaire émanant des pouvoirs sociaux. Il est
sans doute de la logique de tout ordre social de s’imposer au moyen d’un
imaginaire de nature idéologique. Mais, depuis deux décennies, c’est d’une
pression tout à fait inédite que celui-ci pèse sur la conscience des enfants. Il
semble, ici, que plusieurs facteurs entrent en synergie :
– Les enfants sont la cible de stratégies d’influence délibérées, hautement
rationalisées, vis-à-vis desquelles ils ne sont pas en état de réagir. Face à la
vision rendue inévitable de l’image, conçue pour apparaître comme représentant
son désir, il manque encore à l’enfant à la fois la capacité suffisante de
renoncement au principe de plaisir ainsi flatté (d’en haut, par la valeur
sociale que représente, par exemple, une marque commerciale), et les outils
intellectuels (discursifs et de connaissance sociale) qui permettraient de
relativiser le message en le replaçant comme moyen d’un intérêt particulier. Il
y a donc une prégnance difficilement résistible d’un imaginaire social imposé, à
valeur idéologique.
– Par ailleurs, la dimension personnelle de l’imaginaire, qui est fonction de la
variété des expériences vécues, reste elle-même très fragile dans la mesure où
l’enfant n’a pas eu suffisamment d’occasions de la cultiver activement, en
particulier à partir des situations de jeu qu’il invente.
– Enfin, il faut remarquer la faiblesse des médiations possibles entre cet
imaginaire idéologique et l’enfant. Ces médiations sont fonction de la richesse
des relations humaines. Elles se réalisent plus particulièrement par le discours
parental, et aussi à travers un complexe d’imaginaires sociaux intermédiaires
liés aux diverses appartenances (famille élargie, communautés locales,
religieuses, etc.). Or l’importance, la consistance, de tous ces points d’appui,
disponibles à l’enfant pour intégrer, relativiser, digérer le tête-à-tête avec
les supports (sinon les suppôts) de l’imaginaire idéologique, sont en
régression.
Perte dans l’expérimentation corporelle de l’espace à un premier niveau,
réduction de la diversité des expériences relationnelles à un niveau plus
profond, et, au niveau fondamental où se formule son désir, forte pression d’un
imaginaire imposé et standardisé, toutes ses déterminations du milieu social se
confortent mutuellement dans le sens d’une sorte d’appauvrissement corrélatif du
champ d’expériences de vie sociale, et de l’imaginaire singulier de l’individu.
Quel lien peut-on faire entre un tel appauvrissement et l’adoption de
comportements violents ?
In-différence
En ce point, il paraît légitime de proposer la thèse que le comportement violent
soit l’expression d’un déficit de culture de la communication. Nous prenons le
mot « communication » dans son sens fort, indiqué par l’étymologie, « mettre en
commun », donc trouver un terrain commun qui permette l’échange, ce qui
présuppose que l’on parvienne à dépasser la différence entre soi et l’autre
donnée initialement. La culture de la communication est pour nous la culture de
ce dépassement des différences pour trouver un terrain d’entente. Nous disons
alors que l’appauvrissement évoqué plus haut défavorise systématiquement le
développement d’une culture de la communication.
Ces passages à l’acte violent, qui se produisent en des circonstances qui ne
suffisent pas à les expliquer, en seraient le symptôme. Tout se passe comme si
les jeunes personnes incriminées n’étaient pas en mesure d’adopter le
comportement socialement acceptable, simplement parce qu’en leur imaginaire
propre celui-ci n’était pas disponible. On pourrait interpréter qu’elles
n’avaient pas cultivé la communication avec autrui de manière suffisamment
variée pour que l’éventail de leurs comportements possibles, dans les situations
de conflit, soit ouvert jusque-là. Ce qui aurait manqué à ces jeunes, c’est
d’avoir été confrontés plus souvent à des tensions avec autrui à un moment où
ils pouvaient être en situation de trouver et d’accepter, de la part de
personnes plus âgées, des modèles pour les gérer. Ce qu’ils auraient cultivé par
contre, et à l’envi, ce sont des situations, en général virtuelles, où le désir
est incessamment rabattu sur des positions régressives parce qu’il n’a pas à
sortir de son omnipotence tautologique première pour prendre en compte la
singularité d’un autre. On en serait ainsi resté à un flou de l’image de l’autre
où s’estomperaient ses traits singuliers, le rendant inapte à la reconnaissance
personnelle de laquelle naît, selon Lévinas 4, le sens de la responsabilité à
son égard et la conscience d’un interdit de violence le concernant, mais le
rendant apte au traitement le plus primaire du désir selon l’expéditive logique
du bon et du mauvais.
Une véritable culture de la communication, c’est une culture de la différence :
apprendre à reconnaître, à jauger, à juger, à gérer les différences sans
remettre en cause le lien social ; avoir une perception affinée des différences
et de la manière de les aborder parce que l’on a été confronté à de multiples
différents, in vivo, et que l’on s’en est sorti (rien de tel, sans doute, que le
jeu collectif, surtout s’il est spontané avec ses règles immanentes, pour
apprendre cela). Cette culture est en régression. Certes on socialise l’enfant –
au sens où on l’insère dans ce qu’on croit être les bons codes sociaux – mais on
néglige son acquisition du sens social (de la socialité). On le laisse
volontiers livré à une culture de la non-communication, majoritaire sur les
écrans qui lui sont consacrés (pensons à ces situations complètement centrées
sur un héros dont la fascination narcissique pour ses attributs de force rend
naturelle la violence qui en découle). Le véritable malheur qui monte, c’est
peut-être bien « l’in-différence » dans les relations, qui conduit, bien sûr, à
l’indifférence tout court, et à être désemparé lorsque la différence s’impose
malgré tout, ce qui peut se résoudre par un acte violent.
Harmoniques
Plusieurs remarques peuvent permettre d’étoffer cette thèse et d’en éclairer les
harmoniques :
– On entend de tous côtés des plaintes sur ce qui serait une déficience de plus
en plus prononcée des parents quant à leur devoir d’éducation envers leurs
enfants. Il semble qu’il y ait là un jugement faussé par l’occultation de
l’impact de l’imaginaire idéologique sur l’enfance. L’enfant, avançant dans sa
croissance, est naturellement porté à donner plus de crédit aux valeurs émanant
de la société, par rapport aux valeurs parentales ; il se prépare ainsi à sortir
du milieu familial pour se positionner dans la société. Mais lorsque les valeurs
proposées par la société sont contraires à l’épanouissement de sa liberté comme
adulte raisonnable et responsable, mais au contraire flattent ses désirs
régressifs (consommer, « prendre son pied », etc.), alors les exigences opposées
et réellement éducatives des parents apparaissent décrédibilisées. L’enfant
s’appuyant sur le consensus d’origine idéologique se sent légitimé à leur « rire
au nez », et les parents, devant la difficulté de la tâche, peuvent être tentés
de renoncer. Comment se fait-il qu’il y ait si peu de lucidité sur cette
pression anti-éducative de plus en plus ouverte 5 du milieu médiatique sur
l’enfance ?
– Pour une jeune personne dont la culture de la communication serait
insuffisante, c’est au collège que risquent de se manifester, par prédilection,
les problèmes. Accédant au collège, l’enfant perd la relation privilégiée à un
éducateur extra-familial (la maîtresse ou le maître d’école), pourvoyeuse de
modèles facilitant la socialisation. De façon presque concomitante, il entre
dans l’adolescence, en laquelle sont dévalorisés les modèles familiaux de
comportement. En déficit de repères, mais en recherche, il va se tourner du côté
de sa classe d’âge (laquelle à travers ses leaders, lui désignera les figures
idéales, en général induites par l’imaginaire social dominant). Or, c’est
justement au collège que l’enfant, qui est alors extrait du contexte social du
quartier, souvent relativement homogène, a toutes chances pour être confronté à
des populations d’origine, de statut, et de niveau social différents.
– Ce dont on peut souffrir, c’est d’un manque de souffrance ! La réalité heurte
toujours car, par définition, elle est ce qui nous résiste. Et la réalité, c’est
d’abord la singularité d’autrui irréductible
à mon désir. S’éduquer, c’est apprendre à tenir compte de cette opposition, et
pas n’importe comment, mais en fonction de certaines valeurs. Et cela ne peut se
faire sans mal. Du point de vue de l’éducation, elle est peut être fort néfaste
cette idéologie, plus ou moins implicite, d’une enfance harmonieuse qu’il
faudrait garder sauve de tout conflit et des aspérités de la vie. Et pas
tellement innocente, car elle est congruente avec des intérêts sociaux très
concrets (on n’a plus à aménager l’espace social en fonction des enfants, par
contre on peut capter leur désir à l’intérieur des logements, sans trouble pour
l’ordre adulte, mais avec le « bénéfice » d’une dépendance de consommateur).
– Une société peut s’autoproclamer « de communication » et être systématiquement
défavorable à la culture de la communication. Il suffit qu’elle favorise la
transmission des représentations (et aussi – pourquoi pas ? – la représentation
des différences), et qu’elle défavorise (en pratique, mais jamais en
représentation) la relation vivante entre singularités, par exemple en régentant
l’espace. Ici, il faut pointer le problème politique, à notre sens fondamental,
du pouvoir sur l’espace (à l’escamotage duquel semble bien participer la
promotion de l’espace virtuel).
– On a tendance à polariser tous les problèmes de comportement des jeunes sur
l’institution éducative, comme si elle était le seul milieu qui contribue à
l’éducation, et donc, a priori responsable. Mais ce n’est pas le milieu scolaire
qui est en cause, c’est bien plus largement et plus profondément le milieu
social lui-même, la structuration générale de notre société. Il ne faut donc pas
ouvrir – comme le veut le ministre de l’Éducation – l’institution éducative sur
la société (ce qui veut dire la soumettre encore plus aux valeurs dominantes de
la société), mais plutôt ouvrir la société sur les valeurs de l’éducation. Tous
comptes faits, c’est peut-être encore dans l’Éducation nationale que celles-ci
sont les mieux mises en œuvre, dans la mesure où, en ses règles (brassage social
dans le recrutement, formations et diplômes nationaux, etc., mais tout cela est
remis en cause de plus en plus ouvertement), et à la faveur de l’investissement
de nombre de ses personnels, elle résiste encore aux logiques de hiérarchisation
et de ségrégation
Nous pensons avoir montré que cette violence surprenante qui apparaît de nos
jours dans les jeunes générations, n’est peut-être pas, en fin de compte, aussi
arbitraire que cela. Elle aurait sa raison profonde dans l’insuffisance de la
constitution du sens social des individus. Cette insuffisance serait la
conséquence d’un contexte de maturation qui n’aurait pas apporté aux enfants les
conditions requises pour développer une culture de la communication suffisante.
Ces comportements violents seraient les réponses régressives, primaires,
présociales, qui s’imposeraient par incapacité de moduler un comportement de
communication adéquat. Nous avons tenté de faire sentir qu’il se pourrait bien
que se tisse, aujourd’hui, sous nos yeux, un tissu social d’une inquiétante
fragilité en ce qu’il pourrait se déchirer sous les tensions les plus attendues
de la vie en commun. Ceci est lourd de menace pour l’avenir. Nous avons suggéré
que ce soit au niveau politique qu’il fallait situer les responsabilités :
mainmise sur l’espace, évolution sociale ségrégative, instrumentalisation des
consciences par le marketing. Il y a là motif à intervenir de manière résolue
dans les affaires de la cité.
Mais, d’autre part, notre essai, en son ambition limitée, a peut-être au moins
mis en évidence la large part d’ombre dans laquelle demeurent les changements
profonds – touchant notre condition humaine – qu’implique l’évolution présente
de notre société. Pour ceux qui ont le privilège de posséder compétences de
réflexion et outils conceptuels, il y a là un grand chantier à investir.
N’est-ce pas une exigence actuelle qu’ils aillent sur la place du marché et
qu’ils fassent entendre, en dépit du bruit des marchands, un peu de la lucidité
de la pensée ?
Pierre-Jean Dessertine
1. Faut-il rappeler ici que beaucoup d’établissements qui – concurrence oblige – croient avoir une image à préserver, s’efforcent de gérer les événements violents de façon à ce qu’ils restent secrets ?
2. Et si nous-mêmes parlons de « jeunes », etc., ce n’est que
par approximation commode, afin
de distinguer nominativement ; on ne peut donner à ces déterminants aucune
valeur explicative.
3. Nous appelons « socialité » une capacité acquise des individus à moduler
leurs comportements afin d’éviter, même dans des situations les plus imprévues,
les rapports violents. Elle est une espèce de sens de la vie sociale, et joue à
un niveau plus profond que la « socialisation », laquelle n’en serait qu’une
expression particulière désignant l’intégration, par les individus, des normes
d’une société donnée.
4. Ethique et Infini, Livre de poche, pp.79 et sq.
5. Deux exemples récents :
– Une poupée-marionnette dans une émission de télévision pour enfants produit un
discours fort persuasif sur le droit de l’enfant à s’amuser autant qu’il lui
plaît.
– Un dépliant publicitaire qui s’annonce comme « interdit aux plus de 18 ans »,
à l’intérieur duquel on donne des conseils aux enfants pour obtenir les
comportements d’achat souhaités de leurs parents.