Éléments d’introduction au mouvement
Droit paysan est à l’heure actuelle un mouvement encore expérimental
puisqu’il n’a même pas deux ans d’existence, et plutôt régional puisqu’il est
implanté essentiellement en Languedoc-Roussillon et dans les départements
limitrophes de l’Ariège d’un côté, de l’Ardèche, de la Loire et de la
Haute-Loire de l’autre. Ses promoteurs sont principalement des néo-ruraux mais
pour la plupart installés depuis quinze-vingt ans et insérés dans le tissu
social. Plutôt éleveurs d’ovins ou de caprins, ou maraîchers, certains sont
encore à la Confédération paysanne, d’autres en sont partis, craignant une
dérive à la fois politique –
surfer sur l’« effet Bové » pour tailler des croupières à la FNSEA – et
économique – volonté de promouvoir les produits AOC à destination d’une
clientèle « éclairée » et aisée. Ils se situent dans une démarche de solidarité
internationale envers toute la planète, en luttant pour le respect des droits
des peuples et des individus, et prônant un mode de fonctionnement libertaire :
démocratie directe, organisation en réseau de groupes autonomes, assemblée
générale souveraine pour les prises de décisions.
La philosophie du mouvement, c’est le droit à un toit et à une terre, légitimant
les occupations en faisant prévaloir le droit d’usage sur le droit de propriété,
mais sachant également utiliser une législation existante méconnue. Et
l’installation n’est pas réservée aux seuls « exploitants agricoles » mais aussi
aux exclus économiques (RMIstes, chômeurs, SDF, nomades, etc.) à la recherche
d’une vie en milieu rural, avec pour objectif de promouvoir de nouvelles formes
d’existence hors des normes productivistes actuelles et avec le souci de la
préservation de notre environnement naturel.
Dans le cadre du réseau, il s’agit de réhabiliter les anciens chemins de
carriage, réservés aux marcheurs, attelages, montures et troupeaux, reliant les
régions et serpentant de commune en commune, permettant de se dispenser de la
voiture sans en pâtir. Ces voies
piétonnes seront des voies de communication – au plein sens du terme,
c’est-à-dire d’échanges et de rencontres – appelées à devenir les axes d’un
développement durable en milieu rural.
Dans le cadre du droit au logement, qui est un droit fondamental et reconnu
d’ailleurs comme tel par la Constitution, le squat de bâtiments existants
laissés à l’abandon est légitime. Est également encouragée l’autoconstruction,
avec utilisation de matériaux locaux et recherche de l’autonomie énergétique, en
s’aidant par exemple des techniques mises au point par les bio-architectes et
les maçons en bio-construction de l’université d’Écologie appliquée et solidaire
1, permettant d’abaisser le prix de revient dans des proportions de plus de 1 à
10 par rapport à une construction « classique ».
Dans le cadre du droit à la terre, l’usage de l’espace doit prévaloir sur la
privauté du droit de propriété. Actuellement, le territoire agricole non cultivé
représente trois millions d’hectares, soit 50 % de plus qu’il y a vingt ans. Or
en consultant le cadastre et le fichier des Domaines, on peut prendre
connaissance des terrains libres ou présumés vacants. Outre l’occupation de fait
selon la situation et les rapports de force locaux, on peut également utiliser
la législation applicable en matière de « terres incultes », qui remonte à une
loi de février 1942 2, et élargie depuis par la loi 85-30 de janvier 1985 aux
terres « manifestement sous-exploitées ». La possibilité de dénoncer cet état
d’inculture s’effectue selon des modalités visées dans le Code rural qui, une
fois la procédure menée à bien, permettent d’obtenir du propriétaire un bail
d’une durée de dix-huit ans minimum, renouvelable par période de neuf ans, aux
conditions et prix fixés conformément aux dispositions relatives au fermage.
Dans les cas où il sera procédé à l’achat de terres, afin de casser la
spéculation foncière et la logique de la propriété privée, il est proposé de
procéder à l’acquisition collective de terres par le biais de la « tontine »,
système d’assistance mutuel dans lequel x personnes cotisent périodiquement
jusqu’à hauteur d’un certain montant (10 000 F par exemple) qui va permettre à
chacun(e) de profiter à tour de rôle de la cagnotte pour s’installer selon des
modalités
prévues par l’association Terre commune 3 qui a été créée à cet effet.
Jean-Jacques Gandini
1. UEAS, Le Chabian, 30700 Aigaliers. Voir les illustrations du numéro 4 de
Réfractions.
2.Eh oui, il s’agit bien d’une loi vichyste, reprise depuis périodiquement par
les lois d’orientation agricole.
3. C/o Jacques Voisin, 14, rue Saint-Marc, 11300 Pauligné.