Rarissimes sont les expériences anarchistes ou anarchisantes qui ont vu
naître un droit 1. L’Espagne anarchiste et la Commune de Paris ont beaucoup
tenté mais ont peu duré. Les trois, quatre ou cinq mille personnes qui se
sont succédé à Christiania réalisent cette expérience depuis 1971.
Et elles ont créé un droit. Comment est-il né ? Quel est-il ?
Au cours de l’automne de 1971, squatters et voisins s’infiltrent dans une
caserne laissée à l’abandon au centre de Copenhague. En octobre, Hovedbladet,
journal alternatif, publie un article de Jacob Ludvigsen intitulé « Émigrez
avec le bus n° 8 » qui propose de faire de ce squat en gestation une fristad,
une ville libre, une oasis alternative. L’idée prend, lentement parce que
l’hiver arrive. Il n’y a guère de règles au début. D’abord parce que nul
n’imagine que Christiania va durer. Ensuite parce que le projet utopisant de
fristad n’est pas nécessairement celui des chômeurs, vagabonds, ivrognes et
petits délinquants qui complètent la population de squatters hippies.
Cependant, s’il doit y avoir une idéologie commune, personne ne doute
qu’elle soit l’anarchisme implicite, minimaliste, du mouvement hippie. La
liberté et l’égalité sont les mamelles de cet anarchisme vague, mais
indiscuté. Personne ne dit : « Aucun christianite n’a plus de droits qu’un
autre, aucun christianite ne peut donner d’ordres, la seule volonté avec
laquelle on puisse marcher est celle de tous. » Mais tout le monde le sait.
Par amour des droits, on se méfie du droit.
L’esprit des christianites n’est toutefois pas une tabula rasa. La plupart
des christianites sont scandinaves, d’une des civilisations les moins
inégalitaires. Certainement celle où le droit positif est le plus ressenti
comme la propriété de tous, et non comme un casque de plomb vissé sur la
tête des hommes. Les héros des épopées grecques, hindoues, tibétaines,
africaines massacrent à longueur de vers. Les héros des sagas vikings
massacrent certes, mais ils argumentent aussi, ils plaident, ils négocient,
et personne n’y défie le Ting 2 à la légère. L’égalité confine à la manie
chez les Scandinaves. Quoique sa complète réalisation se fasse attendre dans
ces pays encore monarchiques, les efforts pour l’atteindre ont moins manqué
de sincérité qu’ailleurs.
La plupart des christianites sont des hippies et ont beaucoup lu.
Ils sont enfin occidentaux, du xxe siècle et enfants de l’État providence
social-démocrate.
Peu de règles seront donc précisées parce que pour eux certaines vont de soi
: chacun peut pratiquer la religion qu’il veut, mais les sacrifices humains
sont mal vus. Chacun peut s’exprimer comme il l’entend, mais le poing ne
saurait aider la langue. La propriété pourrait bien être le vol, mais on
n’emprunte pas le sac de couchage du voisin sans sa permission.
L’allocation des ressources rares (la définition que les économistes donnent
de leur douteux passe-temps) est dès l’abord un problème difficile à
Christiania. Car, entre l’abandon par l’armée de la caserne en 1969 et
l’arrivée des squatters en 1971, débrouillards et artisans ont pillé la
plomberie, les portes,
les baignoires, les cuvettes de WC, les circuits électriques, les éviers.
Les appartements encore intacts ont été vite occupés. Le reste est très
recherché, en fonction de l’équipement encore présent. Et les occupants des
appartements intacts, lorsqu’ils partent deux jours à un festival de rock,
retrouvent leur part de squat squattée par de nouveaux squatters.
Qui a droit à quoi ?
Chaque christianite sait que, selon le droit positif danois, il ne possède
rien à Christiania, officiellement propriété du ministère de la Défense.
Quant à l’anarchisme, même minimaliste, il est formel : la propriété est le
vol. De là à dormir dehors par – 20° parce qu’un squatter squatte votre
squat...
Si rien alors ne justifie un droit de
propriété, le froid justifie un droit d’usage. Aura droit à un logement qui
l’aura habité le premier. Les nouveaux, pas toujours informés de ce
consensus auquel on est tôt arrivé 3 sont nombreux. Nombreuses aussi sont
donc les photographies qui montrent, peint sur une porte « Her bor Kai &
Hans » (ici habitent Kai & Hans).
Jeunes, libres et curieux, les christianites voyagent beaucoup. Combien de
temps a-t-on le droit de laisser un logement inoccupé ? Nul n’a su me dire
comment les mystérieux trois mois sont nés. Mystérieux et peu rigoureux :
tel « vieux christianite » amplement pourvu d’amis partira six mois sans
inquiétude, tel nouveau, impopulaire ou inconnu, se fera chiper son grenier
en six semaines. Mais « trois mois » sont les deux mots à utiliser dans un
møde. Un møde ?
Une myriade de problèmes, la plupart d’ordre pratique, se posèrent. Par
exemple, le système électrique ravagé ne supportait pas la surcharge
occasionnée par un radiateur électrique. La solution de ces problèmes
exigeait souvent soit une action concertée, soit une règle contraignante.
Qui allait édicter cette règle contraignante ? Møde, en danois, signifie
réunion, assemblée. Assemblée générale se traduit par fællesmøde. Les
premières assemblées générales se rassemblèrent donc. Il fut vite évident
que leur autorité, en théorie la seule possible, serait limitée.
D’abord, parce que bon nombre de christianites, préférant la bière à
l’anarchisme, ressentent peu de respect à l’égard des fællesmøder. Ce qui ne
signifie pas qu’ils en négligent systématiquement les prescriptions : qui
met en marche un radiateur électrique comprend à la troisième panne qu’elles
ne sont pas sans sagesse.
Ensuite, parce que trois cents personnes (dont vingt plus ou moins ivres,
cent fumant joints et shilums, cinq accompagnées de bébés hurlant, douze
accompagnées de chiens aboyant, deux d’une santé mentale vacillante)
prennent malaisément des décisions pratiques.
Enfin, parce que conscient du caractère peu équitable, à l’égard de la
minorité, des décisions d’une majorité, on ne vote pas. Comment sait-on
alors qu’une décision a été adoptée ? À trois cents, cela se voit.
Toutefois, si une décision ne peut être prise qu’à la quasi-unanimité, peu
de décisions seront prises. Aussi l’impuissance relative des fællesmøder
apparut-elle bientôt. Leur statut évident de souverain ultime du corps
politique christianite, ou, pour le sujet qui nous occupe, de Cour suprême,
fit cependant que l’institution existe toujours. On résolut, pour pallier
les encombrants fællesmøder, de créer les områdemøder (assemblées de zone
4). On 5 divisa donc Christiania en områder dont le nombre a varié, et l’on
convint que l’ordre normal de décision politique ou de résolution des
conflits était ceci :
On discute entre voisins, ou au husmøde (réunion de maison).
Si ceci échoue, on discute à l’områdemøde.
S’il échoue, on discute au fællesmøde.
Si le dernier échelon échoue, on recommence, à l’un quelconque des échelons.
Jusqu'à ce qu’un jour la solution naisse, ne serait-ce que de la lassitude
générale. 80 % 6 des litiges (je ne parle donc pas des débats politiques)
tranchés par les område – et fællesmøder concernent l’occupation de tel ou
tel appartement, maison, roulotte...
Comme bien l’on pense, même avec un droit positif si limité, l’esprit
chicaneur fit son apparition. On vit contester les décisions des møder pour
des raisons procédurales. Aussi, malgré l’absence complète de document
écrit, le droit christianite développa-t-il des procédures.
Tout christianite qui souhaite qu’on prenne telle ou telle décision a le
choix. Soit il se contente de participer à ceux
qui se tiennent plus ou moins régulièrement, à des dates choisies au møde
précédent. Soit il en convoque un lui-même, en apposant une affiche, au
moins, bien visible. Si personne ne vient à son møde, tant pis pour lui. À
partir de six, sept, huit personnes, le møde peut être considéré comme
valable. Si les décisions en sont contestées, un møde suivant qui réunirait
les trois quarts 7 des habitants de l’område serait considéré comme plus
valable (non, il n’y a pas de seuil fixe).
Si notre christianite n’est pas satisfait de la décision de son møde, ou si
celui-ci a échoué à en prendre une, ou si les habitants de l’område
boycottent systématiquement tous les møder qu’il convoque, parce qu’ils
savent avoir affaire à un teigneux, un ennuyeux, ou l’un des deux ou trois
maniaques 8 de la procédure qui encombrent Christiania, il peut appeler à un
fællesmøde. Il y faut au moins une semaine de délai, et une affiche dans
chaque område 9. Il est mal vu de se limiter à si peu ; beaucoup d’affiches
et deux semaines au moins de délai évitent de se rendre impopulaire. 10
Il est remarquable que, pour la période dont je peux traiter avec sûreté,
soit 1971-1984, les règles positives du droit christianite sont restées
extraordinairement peu nombreuses, en gardant à l’esprit qu’on ne saurait
qualifier de règles positives les interdictions du meurtre, du viol.... qui
pour les christianites tombent sous le sens.
À l’interdiction du chauffage électrique s’est ajoutée celle du camping
après un été catastrophique où les excréments des campeurs ont noyé
Christiania. Les voitures ont rapidement été bannies des arbres et des
pelouses de Christiania, mais les camions, les tracteurs et le bulldozer du
Maskinhal ont droit de cité.
Les aktivister (activistes) plus politisés, en général d’origine bourgeoise
et de haut niveau de scolarisation, ont poussé à la création de plusieurs
autres règles qui n’ont jamais entraîné la même unanimité :
– Le « loyer » (contribution à la caisse commune) ;
– La règle selon laquelle n’ont droit à participer aux møder que les gens
qui dorment 11 à Christiania ;
– L’interdiction de vendre une habitation à son occupant suivant ou de
l’acheter au précédent ;
– L’interdiction d’installer de nouvelles roulottes ;
– L’obligation d’en référer à l’områdemøde pour qui souhaite emménager (afin
que, d’une part, les droits de ceux qui ont depuis longtemps demandé à
emménager dans tel ou tel endroit lorsqu’il deviendrait libre soient
respectés. Et, d’autre part, afin que l’on puisse éviter d’avoir pour voisin
quelqu’un d’impopulaire ou de dangereux).
Toutes ces règles ont toujours été vigoureusement contestées, au moins par
les pushers, les vendeurs de haschich, un peu plus nombreux en moyenne que
les activistes, et parfois par le « marais », la très vaste majorité des
christianites ni activistes ni pushers. Elles n’ont jamais eu de valeur
contraignante que pour qui estime importante l’estime des activistes.
Notons que dans le site internet christiania-org qui donne la liste des
règles de Christiania, on évite soigneusement le mot « loi ». Les
christianites se méfient tellement de la loi, qu’ils refusent ce nom même
aux lois qu’ils ont créées. Depuis l’origine de Christiania, chaque règle
positive semble une défaite aux christianites qui regrettent que tout ne se
règle pas grâce à la conscience de chacun.
On sait que, selon un vers célèbre de Bob Dylan, pour vivre sans loi, il
faut être honnête. Et, depuis l’Antiquité, on répète que, si l’on ne veut
pas de loi, il faut des mœurs.
Nous avons fait le tour du bref code civil de Christiania. Y a-t-il un code
du travail ? Christiania a loyalement tenté de bâtir une économie non
capitaliste : mais à mille personnes perdues dans une métropole capitaliste
d’un demi-million d’habitants... On a en tout cas convenu (tôt, mais quand
?) d’un salaire horaire minimal. Il a semblé évident que dans les collectifs
de travail tous étaient égaux et que la seule autorité ne pouvait être que
le møde des collègues (medarbejdermøde). Mais ici le droit christianite a
été pollué par le droit extérieur, depuis que nombre d’activités économiques
christianites ont adopté les règles danoises en se déclarant aux autorités.
Pour autant que je le sache, les activités non déclarées continuent à
fonctionner selon la règle christianite. Ajoutons toutefois que presque tous
les groupes d’activités distinguent entre membres permanents et temporaires
; soit qu’ils aient été échaudés par le chaos provoqué par des travailleurs
éphémères, et donc insoucieux, soit qu’ils refusent de partager le gâteau en
trop de parts. Les temporaires n’ont en général pas voix au chapitre lors du
møde (qui seul décide s’ils deviendront permanents ou non).
Y a-t-il un code pénal ? La théorie anarchiste ne prévoit comme seul
châtiment que l’exclusion. Christiania a fait de même. Mais ! Mais depuis
qu’en 1979, après des mois de débats, après plus de vingt morts par overdose
cette année-là, après des années de présence oppressante et déprimante des
junkies et de leur univers, Christiania a décidé d’interdire les drogues
dures, on a parfois vu les pushers lâcher leurs très gros chiens sur un
toxicomane ou un trafiquant imprudent (aucun n’a été dévoré, mais les
malheureux coururent très vite).
L’exclusion, en tout cas, a été le lot des junkies qui n’ont pas entamé de
désintoxication, puis de qui s’est laissé happer par les drogues dures. Elle
est rarement et difficilement décidée, pour deux raisons : parce que, dans
cette société villageoise où tout le monde se connaît, reléguer quelqu’un
aux ténèbres extérieures est difficile. Soit psychologiquement, parce que
l’expulsion en 1979 des junkies, tous personnellement connus des autres
christianites, a laissé de profondes cicatrices morales. Soit pratiquement,
lorsque la brebis galeuse a beaucoup d’amis ou peu de scrupules. Ainsi le
groupe de pseudo-Hell’s Angels appelé Bullshit, qui mérita l’expulsion de
bien des manières, ne délivra Christiania de sa présence que lorsque ses
membres les plus dangereux eurent été peu à peu assassinés par les vrais
Hell’s Angels.
En réalité, la petite taille de Christiania masque ici sa valeur
d’expérience. Sa taille réduite, si elle conduit à hésiter à appliquer la
sanction maximale aux pécheurs, conduit à aussi hésiter à pécher. En effet,
violer ouvertement et systématiquement les règles expose aux reproches et à
la perte de la sympathie des bons citoyens. La majorité des christianites
méritant le qualificatif de bons citoyens, et souhaitant le mériter, le
poids de l’opinion suffit à ancrer la norme. En revanche, la communauté est
désarmée face à ceux que l’opprobre publique laisse froids.
Les cas les plus nombreux d’expulsions ont été ceux de la Junk-blokade de
1979. On bloqua alors à dix, quinze, trente christianites, la porte du
domicile des gens expulsés et on leur signifia qu’ils n’étaient plus les
bienvenus.
De 1980 à 1984, je n’ai souvenir que de deux expulsions non liées aux
drogues dures, l’une « légale », l’autre non, toutes les deux amères.
Un activiste nommé Børge Madsen écrivit un fort bon livre sur Christiania.
Il y fut le premier à dévoiler que l’opposition activistes-pushers, la plus
fondamentale division politique de Christiania, cachait une opposition plus
classique de christianites d’origine bourgeoise et de christianites
d’origine populaire. Le fond du livre critiquait surtout les activistes. Un
passage, à l’ironie maladroite, décrivait cependant l’apparence physique des
pushers de manière stupide. Les pushers ne lurent jamais ce livre. Mais
Gammel Mads, un ancien cadre de chez Unilever et alors trafiquant de haute
volée, et Pelle-Puces-dans-la-fourrure, fanatique de la chicane et de la
zizanie, reproduisirent le passage imbécile, puis persuadèrent les pushers
que le livre était une machine de guerre, un pamphlet, un tissu d’injures
contre eux. Les menaces contre Børge furent nombreuses, physiques, précises
et passèrent entre autres par
des affiches clamant « Tillykke Christiania, Børge flytter » « Meilleurs
vœux Christiania, Børge s’en va ». Écœuré et terrifié, Børge s’en alla
effectivement.
L’autre concerne un homme depuis longtemps installé à Christiania. Discutant
un jour avec une femme qui l’avait quitté, il la frappa d’un coup de poing
si violent qu’il lui brisa le nez. Très vite, les femmes de Christiania
convoquèrent un faellesmøde. John tenta de s’excuser, mais les femmes furent
inflexibles. John tenta alors de passer outre et de rester à Christiania,
mais les femmes refusaient de lui parler, et les hommes activistes (John
était un activiste), gênés, ne répondaient guère à ses demandes de
sympathie. En deux semaines, John céda et partit.
Les deux cas sont amers, l’un parce qu’il fut comme un rot de bêtise et
d’intolérance résonnant à travers Christiania et insultant, comme dans la
société normale, celui-là même qui en accuse les défauts, l’autre parce que
la belle fermeté dont on fit preuve devant un homme seul se fissura devant
les crimes simultanés et graves des Bullshit 12, qui, eux, attaqueraient
physiquement leurs accusateurs.
Selon les statistiques policières, il se commet plus de viols à Christiania
qu’ailleurs. D’accord en ceci avec nombre de femmes christianites, je pense
plutôt que les femmes christianites hésitent moins à porter plainte 13. Un
viol entraîne en théorie l’exclusion, mais deux ou trois psychopathes
notoirement dangereux et aux viols avérés se sont maintenus des années à
Christiania.
Les meurtres entre christianites sont inconnus. Mais des christianites, tout
comme des visiteurs, ont été victimes d’assassins ou, plus souvent, de rixes
d'ivrognes. Dans tous les cas d’homicide, des christianites ont alors aidé
la police criminelle dans son enquête.
Christiania démontre qu’une société sans droit écrit, sans tribunaux, sans
police, sans prison est viable. Mais qu’elle n’est ni juste ni entièrement
sûre, tant que chacun ne tire pas les conséquences de l’absence
d’accaparement du droit, tant que chacun ne porte pas sa part de la
médiation des litiges et de la protection de tous.
Jean-Manuel Traimond
1. Dans cet article, le droit est un ensemble de normes juridiques, un droit est ce à quoi l’on a droit.
2. L’assemblée. Le parlement danois s’appelle le Folketing : «
l’assemblée du peuple ».
3. J’ai personnellement interviewé plusieurs christianites de cette période,
j’ai compulsé tant la presse danoise que ce qui reste de documents christianites
de cette période, et je n’ai pas trouvé trace d’une décision formelle à ce
sujet.
4. Le danois n’est pas une langue remarquable par son
élégance.
5. Un fællesmøde, bien sûr. Après qu’en réalité l’idée eut été discutée
informellement partout, évidemment.
6. Mon estimation, que je ne crains guère de voir contester.
7. Ce qui serait un succès exceptionnel, inouï, admiré, commenté...et rarement
imité.
8. Célébrons ici M. Pelle-Puces-dans-la-fourrure (Que peut-on imaginer de plus
persistant et de plus agaçant que des puces dans une fourrure ?)
9. Ces conditions n’ont été convenues qu’après qu’un tel se soit plaint qu’il
n’avait pas pu se défendre parce qu’il n’avait pas pu se libérer à temps, ou
parce que, particulièrement casanier, il ne voyait pas les affiches posées
ailleurs que dans son område. En outre, depuis que le journal interne de
Christiania, Ugespjel, paraît régulièrement, une annonce complète le dispositif.
10. Plaçons ici un souvenir personnel. Nouvellement installé à Christiania avec
un ami dans un ex-poulailler (sic), je m’en vois contester l’usage par les
propriétaires des poules (sic). Entre autres péripéties, poussé par John (voir
plus bas) qui ne comprit jamais vraiment comment Christiania fonctionnait, nous
appelâmes à un faellesmøde. Nos affiches, rédigées par John, eurent un gros
succès, car au lieu d’écrire vi inkalder til faellesmøde, « nous appelons à une
assemblée générale », il écrivit vi indknalder fællesmødet, intéressant
néologisme que l’on pourrait traduire par « nous baisons l’assemblée générale ».
Le caractère procédurier de John, et mesquin de notre querelle, étant connu,
cinquante personnes seulement se déplacèrent (sur une population permanente de
christianites oscillant entre sept cents et mille personnes). Le meeting dura
peu. On compatit à notre douleur, on blâma les éleveurs de poules d’avoir
utilisé un petit radiateur électrique pour réchauffer leurs poules, on nous
accorda que nous n’avions pas eu tort d’expulser les poules et on nous pria
rondement de ne plus déranger les citoyens pour si peu.
11. Nombre de vendeurs de haschich qui passent toute leur
journée à Christiania sans y dormir s’invitent aux faellesmøder qui les
intéressent.
12. On retrouvera un cadavre enchâssé dans du béton dans le sol de la maison
qu’ils occupaient.
13. À la police danoise évidemment ! Et malgré le fait qu’elles s’entendent
souvent répondre qu’il faut choisir entre habiter Christiania et espérer la
protection de la police.