Janvier
M. répond à une notice, parue dans le Tintes, qui insinue qu’il dirige autoritairement les affaires de l’A.I.T. (2 janv. ; publié le 3 janv.)
Dans un article destiné à l’Almanacco Republicano (Lodi) et intitulé l’ « Indifferenza in materia politica », M. plaide, contre la théorie anarchiste de la « liquidation sociale », pour la lutte politique et syndicale de la classe ouvrière.
Cette lutte peut conduire les travailleurs à instaurer une dictature révolutionnaire et à « donner à l’Etat une forme révolutionnaire et provisoire pour briser la résistance de la bourgeoisie ». Rôle positif du syndicalisme et critique de l’antisyndicalisme de
Proudhon. « Le maître prêchait l’ " indifférentisme " en matière économique, pour protéger la liberté ou la concurrence bourgeoise, leur seule garantie ; ses disciples prêchent l’indifférentisme en politique, pour protéger la liberté bourgeoise, leur seule garantie. » E. écrit, pour le même Almanach, un article sur l’ « Autorité » pour démontrer que, dans la société communiste, la production industrielle elle-même imposera aux travailleurs une discipline sévère, lors même que l’ « autorité » sera exercée en vertu d’un « mandat » : « la hiérarchie et l’autorité s’imposent à nous en même temps que les conditions matérielles sous lesquelles nous produisons ». « L’autorité et l’autonomie sont des choses relatives dont les domaines d’application varient dans les diverses phases du développement social. » (Janv.)
E. informe Sorge de la session du Conseil fédéral britannique et de la situation de l’A.I.T. dans les divers pays d’Europe. Il lui donne des directives concernant les mesures à prendre par le C.G. vis-à-vis des diverses fédérations et sections ayant fait sécession et s’étant mises ainsi elles-mêmes hors de l’A.I.T. (4 janv.l
En réponse à une nouvelle circulaire des sécessionnistes du Conseil fédéral anglais mettant en question la régularité des résolutions du Congrès de La Haye publiées par le C.G., M. réfute les diverses accusations. (15 janv. ; publié dans International Herald, 25 janv.)
Au Congrès des sécessionnistes du Conseil fédéral anglais, Eccarius, Hales et Jung attaquent M., et rendent E. responsable de la scission. Jung déclare que <c Marx a trompé et trahi tous ses anciens amis. » (26 janv. )
Février
M. informe Bolte du Congrès des sécessionnistes anglais et juge sévèrement Jung et Eccarius. Il considère la suspension de la Fédération jurassienne comme une faute, puisqu’elle s’était elle-même séparée de l’A.I.T. Il suffirait de constater le retrait : « Le grand résultat du Congrès de La Haye a été de pousser les éléments douteux à s’exclure d’eux-mêmes, c’est-à-dire à s’en aller (...) Dans l’opposition ouverte à l’Internationale, ces gens sont inoffensifs, ils sont utiles, mais éléments hostiles dans son sein, ils ruinent le mouvement dans tous les pays où ils ont pris pied. » (12 févr.)
E. blâme Liebknecht de vouloir conserver, dans le Volksstaat, une position neutre vis-à-vis de la « guerre des internationaux contre les sécessionnistes ». (12 févr.)
E. expose, dans une lettre à Mesa, ses vues sur les événements révolutionnaires en Espagne. (25 févr.)
Mars
Ecrivant à Sorge, E. déclare qu’il ne peut pas lui envoyer les procès-verbaux du C.G., car « ils nous sont absolument indispensables dans la lutte contre les sécessionnistes pour être à même de répondre aux mensonges et aux calomnies. Je pense que l’intérêt de l’Internationale est plus important, en définitive, que le respect d’une formalité. » Il l’informe de l’activité des sections dissidentes en Espagne, Belgique, Angleterre et Suisse, qui préparent un congrès international et recommande au C.G. d’étendre à tous les sécessionnistes la décision du 26 janvier constatant le départ des Fédérations qui ne reconnaissent pas les résolutions du Congrès de La Haye. (20 mars.)
iVI. et E. participent à une fête en l’honneur de la Commune, organisée par le Conseil fédéral anglais et les communards. (24 mars ; CHR., p. 3A2.)
Avril
M. demande à Becker de faire les premiers préparatifs pour le prochain Congrès de l’A.I.T. (7 avril ; CHR., p. 342.)
E. au C.G. : « Le rapport sur l’Alliance est en cours de rédaction, et Lafargue et moi y travaillons journellement, sans perdre de temps. » (15 avril.)
Mai
M. s’entretient avec Dupont et Serraillier des questions du prochain Congrès de la Fédération anglaise de l’A.I.T. (Début de mai ; CHR., p. 313.)
Dans une lettre ia Sorge, E. insiste sur l’importance du choix de Genève comme lieu du prochain Congrès. (3 mai.)
Le Volksstaat publie des informations, envoyées par E. à Ado1f Hepner, sur les dissidents qui s’étaient déclarés contre le Congrès de La Have. (7 mai.) Il publie un article d’E. (« L’Internationale et le Neue SozialDemokrat ») sur les agissements de Jules Guesde, Dentraygues et Paul Brousse, à propos des procès récents contre l’Internationale en France. (10 mai. )
Wilmart, communard réfugié à Buenos-Aires, informe M. de son activité pour l’A.I.T. (27 mai ; CHR., p. 343.)
Juin
E. informe Sorge du Congrès de la Fédération britannique (Manches ter, ler et 2 juin), qui fut un succès ; du refus des Jurassiens de participer au Congrès de l’A.I.T. et de leur intention de convoquer un Congrès séparé. (14 juin.)
Dans une lettre à Bebel, E. expose ses vues - et celles de M. - sur le problème de l’unité du mouvement ouvrier en Allemagne et condamne les « fanatiques de l’unité » qui, comme cela s’était révélé dans l’Internationale, sont les fauteurs de toutes les divisions. Après la Commune, l’A.I.T. eut un « succès colossal », mais les sectaires abusèrent de cette situation, il fallait crever l’abcès et « veiller à ce que l’Internationale sorte pure et inaltérée de la catastrophe ». Ces soi-disant représentants de la grande majorité de l’ A.LT. proclament leur refus de participer au prochain Congrès, ce qui prouve qu’il n’y a pas d’unité dans les rangs des dissidents. (29 juin.)
Bolte informa bI. de la situation de l’A.LT. en Amérique. (29 juin ; CHR., p. 343.)
Juillet
Le Volksstaat publie un article d’E. sur l’Internationale. E. y parle du Congrès des dissidents britanniques, composé de onze participants, et du 2e Congrès de 1a Fédération britannique qui o a fait époque dans le mouvement ouvrier anglais ». 26 délégués y étaient présents. « Le rapport du Conseil fédéral se distinguait de tous les anciens documents similaires en ce qu’il revendiquait le droit pour la classe ouvrière - dans ce pays de la légalité enracinée - de réaliser par la force son programme ». E. parle également des dissidents jurassiens dont la décision de tenir un congrès séparé équivaut à « une reculade dissimulée derrière des phrases grandiloquentes. » (2 juil.)
E. entretient Sorge des affaires de l’A.LT., particulièrement en Autriche, au Danemark, en Espagne (a que le diable emporte les socialistes de toutes ces nations paysannes, ils se laissent toujours prendre aux phrases »). Parlant de la brochure sur l’Alliance, sous presse : « La chose éclatera comme une bombe parmi les autonomistes (...). Lafargue et moi l’avons rédigée ensemble, la conclusion seule est de Marx et de moi. (...) Tu t’étonneras des infamies qui y sont révélées. » (26 juil.)
Août
La section 1 de l’A.I.T. à New York envoie à M. un mandat pour le représenter au Congrès de Genève. (17 août ; CHR., p. 344.)
M. et E. prévoient le fiasco du prochain Congrès de l’A.I.T. et décident de ne pas y participer. 5erraillier, mandaté par le C.G., désire suivre leur exemple : « Raisons privées mises à part (Serraillier n’avait d’abord accepté que parce qu’il pensait que nous irions ; en outre, il vient seulement de lire le mandat (...).) 11 y trouve des choses - par exemple le renforcement des pouvoirs du Conseil - qu’il ne saurait soutenir ni personnellement ni au nom du Conseil fédéral. Mais il y a mieux. Le Conseil fédéral a reçu une lettre de Perret d’où il ressort
– 1° que la fédération romande à l’intention d’annuler les pleins pouvoirs que le Congrès de La Haye a donnés au C.G. ;
– 2° que personne de la bande romande de Genève ne voudrait accepter un mandat de la section anglaise, excepté Duval (...) ;
– 3° que, ainsi que l’affirme Perret, pas un prolétaire de là bas ne voudrait perdre 8 jours au Congrès - ce qui nécessiterait l’acceptation de mandats.
Dans ces circonstances, je suis positivement d’avis qu’il vaudrait mieux que Serraillier n’y aille point. Le ridicule tombera sur nous, pas sur lui, s’il y va (... )
Vu la situation en Suisse, qu’on nous a si soigneusement cachée jusqu’à la dernière minute, j’estime qu’il serait parfaitement stupide d’envoyer Serraillier. Notre abstention absolue, qui en imposera aux gouvernements et à la bourgeoisie - malgré le scandale que la presse fera tout d’abord - va au diable [en français] si Serraillier s’y rend dans les circonstances présentes. » (M. à E., 29 août.) « Plus l’issue de notre congrès sera lamentable, dans ces circonstances, mieux ce sera, naturellement, surtout si Serraillier n’y allait pas. » (E. à M., 30 août.) « (...) Il ne pouvait pas être question d’aller à Genève, alors que ces gens refusent même d’accepter des mandats des sections anglaises. J’estime que tu ferais bien d’envoyer un contre-ordre à Hepner. » (M. à E., 30 août.)
Septembre
Le Congrès de l’Internationale « anti-autoritaire » se tient à Genève du 1°T au 6 septembre. Il vote à l’unanimité l’abolition du Conseil général et maintient, dans les nouveaux statuts généraux, les considérants du préambule des statuts tels qu’ils avaient été votés par le Congrès de Genève de 1866 (version française), mais en supprimant les mots « de l’Europe ». Le Congrès de l’A.I.T. « autoritaire » se tient à Genève du 8 au 13 septembre. Dans une lettre adressée « aux citoyens délégués du 6° Congrès de l’A.I.T. » (rédigée par Engels), Serraillier explique certaines des raisons pour lesquelles il avait renoncé à remplir le mandat que lui avait confié le C.G. de New York : on ne pouvait compter sur des délégations directes de certains pays, tels que la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, etc. a Un congrès organisé dans ces conditions, qui sont beaucoup plus sérieuses pour l’Association après la chute de la Commune parisienne, ne pourrait avoir, par sa seule composition, qu’un caractère plus ou moins local ». En outre, le Conseil fédéral britannique avait décidé de refuser sa participation. (3 sept.)
La brochure « L’Alliance de la Démocratie Socialiste et l’Association Internationale des Travailleurs » (rédigée d’avril à juillet, par E., Lafargue et M., et sortie des presses au début de septembre 1873) publie, conformément à la décision du Congrès de La Haye, les documents constituant le dossier d’accusation de l’Alliance bakouniniste, parmi lesquels figurent les statuts secrets de l’« Organisation de l’Alliance des frères internationaux » et des extraits de l’appel « Aux officiers de l’armée russe » (janvier 1870) dans lequel Bakounine vante l’organisation secrète « qui trouve sa force dans sa discipline, dans la dévotion et i’abnégation passionnées de ses membres et dans l’obéissance aveugle à un comité unique, omniscient, mais connu de personne. »
Dans une lettre au Journal de Genève, répondant à des accusations calomnieuses publiées à son sujet, Bakounine attaque M. « ( chef des communistes allemands, qui, sans doute à cause de son triple caractère de communiste, d’Allemand et de Juif, m’a pris en haine ») et qualifie le Congrès de La Haye de « falsification marxiste. » (25 sept.). Quelques jours plus tard, il adresse une lettre de démission « aux compagnons de la Fédération jurassienne » ; il y dénonce « l’intrigue ambitieuse des marxistes » et félicite la fédération d’avoir « remis 1a grande Association internationale des travailleurs sur 1e chemin dont les tentatives dictatoriales de M. Marx avaient manqué de la faire dévier. » Expliquant la raison de sa démission « je ne suis qu’un bourgeois et, comme tel, je ne saurais faire autre chose parmi vous que de la propagande ») il affirme que « le temps des grands discours théoriques, imprimés ou parlés, est passé », que « le temps n’est plus aux idées, il est aux faits et aux actes », mais que ni son âge ni sa santé ne lui permettent de participer au travail d’organisation du prolétariat. (Bulletin, 12 oct.)
M. à Sorge : « Le fiasco du Congrès de Genève était inévitable. (...) Malgré tout, les Genevois n’ont pas réussi à s’emparer du C.G., mais (...) ils ont anéanti tout le travail fait depuis le premier Congrès de Genève (...). A mon avis, dans les conditions actuelles de l’Europe, il sera très utile de faire passer à l’arrière-plan, pour le moment, l’organisation formelle de l’Internationale ; il faut seulement, si c’est possible, ne pas lâcher le point central de New York, afin d’empêcher que des idiots comme Perret ou des aventuriers comme Cluseret ne s’emparent de la direction et ne compromettent l’affaire. Les événements de l’inévitable évolution et involution des choses conduiront d’eux-mêmes à une résurrection de l’Internationale sous une forme plus parfaite. » (27 sept.)
Novembre
Beeker à Sorge : « (...) tu ne penses pas sérieusement à justifier le comportement de Serraillier et du Conseil fédéral de Londres, qu’on ne saurait même excuser. Que deviendrait alors cette solidarité internationale tant vantée et si chaudement recommandée par les porte-parole qui aiment tant à faire parade de principes, si l’on reste chez soi quand on voit que le char social s’embourbe (...) afin de pouvoir dire, si les choses tournent mal, qu’on n’en était pas, et de se soustraire ainsi à toute responsabilité, tandis qu’au contraire toute la faute de l’insuccès devrait à juste titre retomber sur ces abstentions. » (2 nov.)
Le Volksstaat publie trois articles d’E. sur « les Bakouninistes au travail, mémoire sur l’insurrection espagnole en été 1873 », qui dévoile les contradictions absurdes auxquelles aboutit l’abstention en matière politique qui vise à démolir l’Etat en soi, « qui n’existe nulle part et qui ne peut donc se défendre ». E. critique le mot d’ordre de la grève générale lancé à Barcelone pendant l’insurrection et épingle l’attitude contradictoire des anarchistes qui les conduit à renier leurs principes. (oct.-nov.) Une réplique de Guillaume paraît dans le Bulletin de la F.J. (9 et 16 nov. )
E. explique à Sorge les raisons de l’attitude que lui et M. avaient prise à l’égard du Congrès de Genève : (...) « M. et moi, nous étions arrivés, après une longue hésitation (...), à la conviction que le Congrès serait essentiellement un congrès suisse local et que, personne ne devant venir d’Amérique, le mieux serait de nous abstenir d’y aller. » Il informe Sorge de la mauvaise santé de M. (« céphalgie chronique qui le rend incapable de travailler et lui enlève le goût d’écrire » et lui annonce la reprise de la campagne contre Bakounine, malgré la démission de celui-ci de l’Internationale. (25 nov.)