Septembre
M. accepte l’invitation de participer à un meeting organisé par les représentants des ouvriers anglais et français en vue de propager l’idée de la fraternité des peuples. Le meeting est fixé au 28 septembre à St. Martins Hall, Long Acre. M. propose, comme orateur, devant parler au nom des ouvriers allemands son ami, le tailleur J.G. Eccarius (Env. 19 sept.)
M, assiste (« figure muette sur l’estrade ", écrira t il à Engels le 4nov.) au meeting de St. Martins’s Hall ; lui et Eccarius sont désignés pour faire partie. d un comité chargé de rédiger les statuts d’une, « association internationale » des travailleurs, dont la création a été proposée par la délégation française et qui doit avoir pour objectif de réaliser « l’égalité sociale des travailleurs ». (28 sept.)
Octobre
Marx exprime à un membre de l’Association Générale des Travailleurs Allemands (A.D.A.V.), l’ouvrier Karl Klings son désir d’être élu à la tête de l’Association en remplacement de Ferdinand Lassalle (tué en duel, le 31 août). Cette nomination qu’au demeurant il devait décliner renforcerait sa position de représentant des ouvriers allemands au Comité international élu lors du meeting du 28 sept., comité qui a pour tâche de convoquer eu 1865 un congrès ouvrier international à Bruxelles. « Malheureusement je ne pourrai pas y participer, car je suis encore exilé de l’État modèle qu’est la Belgique, tout comme de la France et de l’Allemagne ». (M. à Klings 4 oct.).
Au cours de la première réunion du Comité international, M. est élu membre du sous comité chargé de rédiger la déclaration de principes et les statuts provisoires. Sur sa proposition, W.R. Cremer, membre (lu Comité international, est nommé secrétaire de ce sous comité. (5 oct.)
Malade, M. ne peut assister ni à la réunion du sous comité (8 oct.), ni à celle du Comité (11 oct.). Au cours de la première, il est décidé qu’une déclaration de principes, rédigée par Weston, sera soumise au Comité, après avoir subi des retouches, de même seront soumis au Comité les statuts de l’Association des Travailleurs Italiens, proposés par le mazzinien Luigi Wolff comme modèle pour l’A.I.T.
Marx est informe, par Eccarius due son absence de la réunion du sous comité a été vivement ressentie et diversement interprétée (« tu dois absolument imprimer le sceau de ton esprit concis et profond à cet enfant premier né de l’organisation européenne des travailleurs ») ; que Weston a soumis une déclaration "sentimentale et déclamatoire" et que les documents, y compris les statuts, seront de nouveau examinés par le sous comité : que selon Cremer la rédaction des documents doit être confiée à un comité restreint et que M. est the right man in the right place pour s’en charger.
Grenier écrit à M. que le sous comité serait heureux de pouvoir compter sur sa présence. (13 oct.)
Le Comité international tient séance et discute le programme, et les statuts remaniés par le sous comité. Sur la proposition de *Cremer et de M., la « substance du programme » (rédigé par Le Lubez) est adopté. Le texte définitif du préambule et des statuts sera réexaminé par lé sous comité et soumis à la prochaine réunion du Conseil Central (C.C.), titre adopté par le Comité international. (18 oct.)
Cremer, J. P. Fontana et Le Lubez (tous membres du C.C.) se réunissent au domicile de M. qui prend connaissance des documents. Après une discussion, qui se prolonge tard dans la nuit, sur le premier article des statuts, M. propose une nouvelle réunion du sous comité. (20 oct.)
M. rédige l’Adresse et les Statuts de l’Association internationale des Travailleurs. (Env. 21 27 oct.)
Cremer à qui M. avait envoyé une copie de l’Adresse, remercie et demande que M. change « un ou deux mots qui ne seront peut être pas compris par la masse ». (27 oct.)
Novembre
M. lit devant le C.C. l’Adresse et les Statuts qu’il a rédigés. Sur la proposition de deux membres, les mots profit mongers sont rayés du texte de l’Adresse qui parlait de frightened avarice of profit mongers). L’Adresse, le préambule et les Statuts sont adoptés à l’unanimité, et M., Weston et Le Lubez reçoivent les congratulations du C.C. « pour avoir produit une Adresse aussi admirable > . (1"` nov.)
Inquiet du long silence d’Engels (lui avait fait un voyage sur le continent en Silésie, et qui a des ennuis d’affaires par suite de la crise américaine), M. annonce à son ami qu’il a « toutes sortes de choses importantes à lui communiquer ». (M. à E., 2 nov.) Au reçu d’une lettre d’E.. (2 nov.), M. commente, dans sa réponse, les récents événements : la succession politique de Lassalle en .Allemagne, l’A.I.T., sa rencontre avec Bakounine, la crise économique. Faisant le récit de la fondation de l’Internationale, il parle en détail de sa propre participation au meeting (" Je savais que, cette fois, de vraies « puissances » étaient présentes aussi bien du côté de Londres que du côté de Paris, et j’ai donc décidé de faire une entorse à la règle que je m’étais donnée : décliner ce genre d’invitation ») ; (les diverses réunions du sous-comité, des statuts d’inspiration mazzinienne présentés par Luigi Wolff ; du manifeste d’une confusion extrême » ) de Weston ; de la déclaration de principes lue par Le Lubez (« un préambule affreusement phraséologique, mal rédigé• et tout à fait enfantin, enveloppé dans les lambeaux les plus fumeux du socialisme français et qui sent partout son Mazzini"). ; puis des textes qu’il a lui même préparés : l’Adresse aux classes ouvrières (« une sorte de revue des aventures des classes depuis 1845 (...l Pour autant qu’il est question de politique, je parle de pays, et non de nationalités, et je dénonce la Russie et nullement les nations mineures ») ; ses considérants des Statuts (« j’étais obligé d’y accueillir deux phrases contenant les mots devoir et droit, de même les mots vérité, moralité et justice, mais je les ai placés de manière qu’ils ne puissent faire de dégats) ; des Statuts (« dix au lieu de quarante ») : « Il était très difficile de faire la chose de telle sorte que nos conceptions parussent sous une forme qui les rendit acceptables dans l’état actuel du mouvement ouvrier (... Il faudra du temps avant que le. mouvement ressuscité permette l’ancienne hardiesse de langage. Soyons fortiter in re , suaviter in modo" ; de Bakounine :« je dois dire qu’il m’a beaucoup plu, même mieux qu’autrefois ...). En somme, c’est un des rares hommes que je retrouve, après seize ans, ayant marché en avant et non rétro gradé ». (M. à E., 4 nov.)
Engels à M. « .le suis impatient de lire l’Adresse aux Travailleurs (... Il est bon que nous ayons de nouveau contact avec les hommes qui tout au moins, représentent leur classe, car en fin de compte c’est là l’essentiel (...) Du reste, je pense que cette nouvelle Association se divisera très rapidement en ses élément théoriquement bourgeois et théoriquement prolétariens, aussitôt que les problèmes seront mieux précisés ». (7 nov.)
M. rend visite à Bakounine qu’il n’a pas revu depuis 1848 et qui vient de lui annoncer son arrivée à Londres et son prochain départ pour l’Italie. lis discutent. du soulèvement polonais de 1863 et de l’A.I.T. ; Bakounine se déclare prêt à militer en Italie en faveur de l’Internationale.
M. signale les informations erronées, publiées par des journaux londoniens sur la dernière réunion du C.C. Sur sa proposition, le C.C. décide dle communiquer les comptes rendu des séances à la presse par l’intermédiaires du secrétaire. Egalement sur sa proposition, Georg Lochner (ancien membre de la Ligue des communistes) et Charles Kaub (Allemand réfugié à Londres) sont nommés membres du C.C. -
M. signale les erreurs typographiques dans l’adresse inaugurale et propose l’impression de 500 exemplaires de l’Adresse, du programme et des Statuts. (8 nov.)
Annonçant à E. le prochain envoi de l’Adresse, etc., M. lui écrit : « L’affaire n’était pas si difficile que tu penses, parce qu’on avait affaire à des « ouvriers ». Le seul homme littéraire de la société est l’Anglais Peter Fox, écrivain et agitateur [ ...] Mazzini est plutôt dégoûté du fait que ses partisans aient co signé, mais il faut faire bonne mine à mauvais jeu. » (17 nov.)
Discussion du C.C. sur les conditions à remplir par les organisations constituées qui désirent adhérer à l’A.I.T. ;
M. intervient et propose l’ajournement du débat. (l 5 nov.)
Intervenant dans le nouveau débat sur l’admission des organisations ouvrières, M. propose qu’un appel soit lancé à ces groupements pour qu’ils adhèrent à l’A.I.T. et délèguent leur, représentant aux C.C., qui aurait le droit d’accepter ou de rejeter ces candidatures - M. propose que L. von Breidtscheidt ("Otto »), membre allemand du C.C. soit autorisé à correspondre, au nom de 1 A.I.T.., avec les « amis du progrès en Espagne ». (22 nov)
M. rédige, au nom du C.C., une Adresse de félicitation à Abraham Lincoln, réélu (" Les travailleurs d’Europe sont persuadé que, tout comme la guerre de l’indépendance américaine a marqué le début d’une ère nouvelle pour la bourgeoisie, la guerre américaine contre l’esclavage sera le début. d’une ère nouvelle pour le prolétariat »). l.’:Adresse, lue par M. devant le C.C. du 29 nov. et adoptée à l’unanimité, est diffusée dans la presse anglaise et allemande.
M. envoie ou fait communiquer des exemplaires de l’Adresse et des Statuts de l’.A.I.T. (publiés sous forme de brochure) à ses amis et relations en Europe et aux Etats Unis (Engels, E. Jones, L. Kugelmann, Lyon Philips, Bertha Markheim, Johannes Miquel, ,J. Weydmeyer. M. Bakounine, G. Garibaldi, Victor Schily,, Tolain, Elie Reclus, etc.). Dans les lettres qu’il écrit à cette occasion, il souligne l’importance des liens unissant le C.C. de l’A.I.T. et les chefs des trade-unions britanniques (« les vrais rois des travailleurs de Londres »), les chefs des travailleurs parisiens et les sociétés ouvrières d’Italie. " Bien que depuis des années, j’aie décliné systématiquement toute participation à toutes ces organisations, j’ai cette fois accepté puisqu’il s’agit d’une affaire ou l’on peut faire, quelque dusse d’important » . (M., à Weydemeyer, 29 nov.) - "Par politesse envers pour les Français et les Italiens, qui emploient toujours de grandes phrases, j’ai dû accueillir clans le préambule des Statuts, mais non dans l’Adresse, quelques figures de style inutiles ». (M. à Lion Philips, 29 nov.)
Décembre
M. entretient E. de son activité au C.C. et des difficultés qu’il rencontre. Sur l’Adresse à Lincoln : « Ce fut à moi d’écrire la chose (ce qui est. beaucoup plus difficile qu’un travail substantiel), afin que la phraséologie, à quoi se réduit ce genre d’exercice littéraire, se distingue tout au moins de la vulgaire phraséologie démocratique. (...). Le Lubez s’était prononcé pour que ce texte soit adressé au peuple américain et non à Lincoln (...) Je me suis bien moqué de lui et j’ai expliqué aux Anglais que l’étiquette démocratique des Français ne valait pas plus cher que l’étiquette monarchique ),. M. demande à E. de devenir actionnaire du journal Beehive, choisi comme organe de l’A.I.T. Il trace le portrait de L. Otto von Breitscheidt, membre allemand du C.C., recruté par Eccarius. (2 dec.)
Dans les séances du sous comité et du C.C., M. critique le projet d’une Adresse sur la Pologne, rédigé par P.Fox-Anrée et qui tend à prouver que la politique étrangère traditionnelle de la France a toujours été favorable à l’indépendance de la Pologne (6 et 13 déc.). Il s’en exprime dans une lettre à E.
« Je m’y suis opposé , et j’ai exposé un tableau, historiquement irréfutable, de la trahison permanente perpétuée par les Français envers la Pologne, de Louis XV à Bonaparte". Louis Blanc ayant approuvé l’Adresse inaugurale dans une lettre envoyée au secrétariat général de l’A.I.T.,
M. le soupçonne de vouloir se faire nommer membre honoraire
« Ayant prévit ce genre d’ambitions, j’ai réussi par bonheur à faire adopter une disposition selon laquelle personne (excepté les sociétés ouvrières) ne devait être invité et personne ne pourrait devenir membre d’honneur ». (M. à E., 10 déc.)
M. exhorte W. Liebknecht à agir auprès des associations et syndicats allemands en vue de leur affiliation à l’A.I.T. (Env. 18 déc.)
M. assiste à la séance du C.C. du 20 déc. qui doit reprendre la discussion du projet de P. Fox. Le débat est ajourné.
Poursuivant son action pour gagner l’adhésion des organisations ouvrières d’Allemagne à l’A.I.T., M. demande au poète Karl Siebel de se rendre auprès de Karl Klings, coutelier à Solingen, pour lui parler en son nom et lui expliquer combien il serait urgent que l’Association générale des ouvriers allemands (livrée aux intrigues de Bernhard Becker, successeur de Lassalle à la présidence de cette organisation), dans son prochain congres de Dusseldorf décide d’adhérer à l’A.I.T.
« Tu comprendras que l’adhésion de l’A.D.A.V. ne nous est utile face à nos adversaires que dans l’immédiat. Plus tard, il faudra faire sauter toute l’institution de cet organisme dont les bases sont fausses ». (M. à Siehel, ’22 déc.)