Jean COULARDEAU.
La montée des Jeunes et la Guerre

RECHERCHES LIBERTAIRES

D’après un non-violent

« Et !e combat cessa faute
de combattants » (« Le Cid »)

Les libertaires se veulent pacifistes : avons-nous honnêtement, sous tous ses aspects, étudié le phénomène millénaire de la guerre ? Sommes-nous capables de présenter l’explication des explications, de supprimer la guerre ? Entendons-nous bien, il ne s’agira pas, pour supprimer la guerre, d’en faire une que l’on baptisera Révolution. Le docteur ne tue pas ses malades, mais les guérit.

Un sociologue, Gaston Bouthoul (I), nous invite à découvrir les causes profondes de la guerre, à lutter contre ce mal social. Il ne peut être question de résumer en un article les recherches de Bouthoul. Des approches successives nous donneront plus facilement un aperçu de ces travaux qui nous touchent de très près.


Les grandes vacances

« Il est frappant, alors que la médecine et l’hygiène font des progrès gigantesques, de constater que la mentalité et les lois en matière de population, dans la plupart des pays, restent les mêmes qu’à l’époque où il fallait faire naître dix enfants pour en garder un. Car le seul dirigisme qui soit pratiqué en matière de population consiste, même dans les pays très peuplés, à pousser sans discernement à une augmentation désordonnée. »

Plus loin, Gaston Bouthoul ajoute que dans une civilisation mondialement ordonnée, qu’elle soit socialiste ou libérale, on peut accorder à l’homme tous les droits qu’on voudra hormis celui de procréer inconsidérément (2). Car alors il compromet l’équilibre économique et la sécurité de l’ensemble ».
Voilà de quoi réjouir les camarades militants du planning familial. L’intention de Bouthoul cependant vise plus loin. Il constate que, si les guerres sont d’aspect très divers, elles ont toutes, absolument toutes, un point commun : les jeunes gens y meurent plus que toute autre catégorie de la population. Il parle alors de structure explosive. Il s’agit d’une population dans laquelle les jeunes, en trop grand nombre par rapport aux tâches économiques à remplir, « sont disponibles et prédisposés à la turbulence ». Suivant l’époque, ils seront canalisés vers une guerre civile, une croisade, une émigration ou une guerre étrangère. Les gouvernants opèrent une « relaxation démographique ». « Pour les hommes d’Etat, la guerre est d’abord la solution de facilité, le repos des gouvernants.

Mais n’allons pas trop vite ; il ne suffit pas qu’il y ait de jeunes turbulents dans un Etat pour que celui-ci parte en guerre. II faut au moins une condition supplémentaire. La guerre « est comme une épidémie psychique, un délire collectif ». Le soldat fatigué de la vie quotidienne va partir pour l’aventure. « I1 est délivré du fardeau de ses perplexités. » Il se laisse vivre ... ou mourir). Il n’a plus à penser pour demain, il ne vit plus qu’au présent, La guerre est une détente pour le militaire, y compris et surtout pour l’appelé.


L’orgie sacrée

Les antimilitaristes sont souvent les premiers à partir. Si certains refusent, ils restent disponibles pour d’autres guerres. Beaucoup de camarades qui ont refusé de partir eu 1914 sont allés mourir sur les fronts de la guerre d’Espagne en 1936. Certes, la raison des combats était différente. Mais l’histoire nous apprend que les hommes n’ont jamais cesse de mourir pour des idées. Or, comme le dit Brassens, il n’y a pas une idée qui vaille que l’on meure pour elle. Il s’agit toujours de guerres, suivant la définition de Bouthoul : « Lutte armée et sanglante entre groupements organisés. »

Toute la maladie réside justement dans ce besoin d’oubli, ce désir de détruire qui se rapproche de la fête caractérisée par un gaspillage suprême. « On peut dire que la guerre est la fête suprême, la grande orgie sacrée au sens sociologique de ce mot. »

L’homme n’est pas le seul être vivant à connaître la guerre. Tous les animaux se battent, mais c’est seulement chez les insectes que nous retrouvons la guerre organisée, tactique, visant des buts précis C’est le cas pour les abeilles, les fourmis et les termites. Je reviendrai sur ce phénomène en regardant de plus près des ouvrages spécialisés. Relevons seulement qu’il va de pair, chez les fourmis en particulier, avec la hiérarchie, le travail organisé, la propriété et... un culte. Selon le myrmécologue suisse, M. Bondreit, les fourmis se réunissent suivant un rite qui évoque nos cérémonies religieuses.

Guerre ou liberté !

Retenons pour le moment le caractère d’organisation poussée de la société humaine et de la fourmilière. Même parmi les sociétés ou tribus primitives, un ordre strict est établi. Différent de celui que nous connaissons aujourd’hui, mais limitant déjà l’initiative des individus suivant les normes de la collectivité.
Autrement dit depuis toujours, chez les fourmis comme chez les hommes, le nouvel arrivant est orienté, modelé, déterminé par ses prédécesseurs. Il n’aura pas le choix de sa vie. Il vivra celle qu’on lui aura préparée. Certains sociologues actuels se sont justement penchés sur ce problème et ont essayé de trouver le pourcentage de fils d’ouvriers (par exemple) qui doivent devenir cadres pour éviter des heurts entre les classes sociales. C’est ce que l’on appelle la mobilité sociale. Ça réussit d’ailleurs pas mal. Mais les jeunes n’en restent pas moins identifiés à des pions. Le hasard ne doit pas entrer dans leur existence.

Comment s’étonner alors que de temps en temps ils aient envie de secouer, de vivre. Ne vaut-il pas mieux courir le risque de mourir à la guerre d’où l’on a des chances de revenir avec des histoires pour ses petits-enfants, que de vivre une vie dénuée de sens, où l’on travaille sans but, sans joie, et où, quoi que l’on fasse, demain sera comme aujourd’hui ?


Polémologie

Tant que l’homme ne sera pas libre, il y aura des guerres. Or, pour se libérer, beaucoup d’entre nous nous proposent la guerre. C’est là que le raisonnement flanche. Il faut arriver à nous libérer sans employer les armes de notre servitude. Gaston Bouthoul cherche par sa polémologie (étude sociologique et scientifique des guerres) à découvrir les racines profondes d’un mal devenu extrêmement dangereux par l’ampleur des armes nouvelles. Cette connaissance seule permettra de guérir ou de réorienter les pulsions belliqueuses qui semblent constantes chez l’homme.

Pour cette fois, je ne me suis attaché qu’au danger populationniste. Si la présence d’une forte population jeune ne suffit pas pour provoquer la guerre, elle est néanmoins nécessaire. C’est ce surplus de jeunes qui sera jeté dans la bataille, et lui également qui favorise la montée au pouvoir de chefs belliqueux bien décidés à les satisfaire lorsqu’ils réclament de la brutalité. Tout commence par des brutalités policières et se termine par l’embrigadement des têtes folles sous une couleur de chemise variant suivant l’époque.

Ne nous polarisons pas sur cet aspect de la question, bien qu’il nous incite à redoubler de militantisme pour la limitation des naissances et la création de structures libres où les jeunes pourraient faire preuve d’initiative et d’invention, et par là même satisfaire ce besoin de lutte et d’activité intensive. Il reste encore beaucoup à découvrir. Sans oublier toutes les personnes âgées dont l’esprit belliqueux n’est pas dû à leur âge mais bien plus à un état pathologique relevant d’une spécialité médicale non encore officialisée.

A une prochaine fois pour une analyse d’un nouvel aspect de la polémologie, qui nous réserve à tous bien des surprises.

Jean COULARDEAU.

(1) Voir en particulier les deux ouvrages suivants dont sont tirés les extraits cités : « La guerre » , Que sais-je ? N° 577.
• « Les guerres - éléments de polémologie » (Bibliothèque scientifique Payot).

(2) Souligné par l’auteur.


Cet article est paru dans le numéro de janvier 1966 du « Monde libertaire »