Trotsky, Leval et Mao

Trotsky,

Lui aussi, a analysé le phénomène coopératif et ceci dans son texte "les prémices du socialisme". Partant des thèses de l’économiste Rojkov pour qui "la production socialis­te ne deviendra possible que lorsque les coopératives seront au premier plan du développement industriel, qu’elles le dirige­ront", Trotsky pense que : "Toute l’argumentation est sens des­sus-dessous. Si les coopératives ne peuvent prendre la tête du développement industriel, ce n’est pas parce que celui-ci n’est pas allé assez loin, c’est parce qu’il est allé trop loin.

Sans aucun doute, le développement économique jette les bases dé la coopération, mais de quelle coopération ? S’il s’agit de la co­opération capitaliste fondée sur le travail salarié, alors cha­que usine nous offre le tableau d’une telle coopération. Et l’im­portance de cette coopération ne fait qu’augmenter avec le déve­loppement de la technique. Mais comment le développement du ca­pitalisme peut-il placer les coopératives "au premier plan de l’industrie" ? Sur quoi se fonde Rojkov pour espérer que les coopératives puissent l’emporter sur les cartels et les trusts, et prendre leur place en tête du développement industriel ? Il est évident que, si cela se produisait, il ne resterait plus a­lors aux coopératives qu’à exproprier automatiquement toutes les entreprises capitalistes, puis à réduire suffisamment la journée de travail de tous les citoyens, et régler le montant de la production des diverses branches de manière à éviter les crises,

Les caractéristiques principales du socialisme seraient alors réalisées . Et, là encore, il est clair que ni révolution ni dictature de la classe ne seraient plus nécessaires"„

"Le socialisme, c’est-à-dire la production coopérative à grande échelle, n’est possible que si 1e développement des for­ces productives est suffisant pour que les grandes entreprises soient plus productives que les petites"„ ...

"Le développement de la division sociale du travail, d’une part, du machinisme de l’autre font qu’aujourd’hui le seul orga­nisme coopératif qui pourrait utiliser les avantages de la pro­duction collective sur une grande échelle, c’est l’Etat. Bien plus, tant pour des raisons économiques que politiques, la pro­duction socialiste ne pourrait rester confinée dans les limites des Etats individuels",

"I1 est cependant clair que les associations de John Bellers comme les phalanstères de Fourier se rapprochaient beau­coup plus, par leur nature, des communes économiques libres dont rêvent les anarchistes, et dont le caractère utopique ne tient pas à leur"impossibilité" ou au fait qu’elles soient"con­tre-nature" - les communes communistes d’Amérique ont prouvé qu’elles étaient possibles- mais à ce qu’elles retardent de 100 ou 200 ans sur le développement de l’économie",

Gaston LEVAL

,

Dans un tout autre ordre d’idées se situe Leval. Dans l’ensemble du mouvement anar, c’est lui qui a : le plus été influencé par le coopérativisme, Il reprend presque point
par point les données du mouvement coopératif. Il voit dans la coopération la voie de la révolution globale par l’adéquation de la fin aux moyens : "I1 faut chercher une solution définiti­ve par l’implantation d’un nouveau régime social qui ne porte­rait pas en soi les anomalies inhérentes à une société dont le principe essentiel est lé bénéfice des uns aux dépens des autres". Leval réfute la nécessité "de passer par une révolution sanglan­te pour prendre le chemin du monde humanisé". D’après lui, avec l’exemple du coopérativisme anglais (Owen) "la lutte pouvait se mener sur deux fronts : d’une part, exiger des améliorations,
des concessions de la part de l’adversaire de classe, d’autre part, organiser à force d’essais et de volonté de réalisation, tout au moins une partie de la vie sociale sur des principes nou­veaux",,,

Leval chevauche les grandes idées coopératistes dans leur intégrale débilité, faisant même référence au programme révolu­tionnaire de l’Eco1e de Nîmes et à Ch, Gide : "il faut donner
à l’esprit constructif la prédominance, s’incorporer à l’évo­lution de la société, vouloir contribuer à cette évolution, s’in­sérer dans la marche en avant du progrès social"„ , "L’Histoire nous prouve qu’on ne va plus au bonheur par le malheur collectif, pas plus qu’à la liberté par le chemin de l’esclavage, De ce point de vue, ce sont les conceptions de Proudhon et, sur le tard de sa vie, de Bakounine, celles de Gustave Landauer et de l’Ecole coopératiste de Gide et de ses amis, qui peuvent maintenant et auraient dû depuis longtemps nous inspirer".

Dans un souci souvent légitime, de se démarquer par rap­port à certaines conceptions "marxistes" de la prise de pouvoir par les,forces révolutionnaires, les critiques objectives et né­cessaires se délaient dans une argumentation aux relents d’un réformisme nauséabond, (Il n’y a pas de différence profonde en­tre le faux matérialisme et les forces typiques de l’idéalisme" l’Anti-Oedipe p, 29)’, Introduire le coopératisme dans les lut­tes révolutionnaires en se référant au pacifisme et à la non-­violence, c’’est faire un retour (régression) aux temps bénis de l’idéalisme libérateur, c’est aussi réduire le débat sur la stratégie à un dualisme déprimant et à un cercle vicieux pour chrétiens de tout poil en mal de lutte de classes : nous voulons parler du labyrinthe de 1a réflexion sur le thème : Violence/ Non-Violence,

MAO TSE TOUNG et le mouvement coopératif.

Notre panorama ne serait pas complet si nous omettions opinion du camarade Mao sur le sujet. Nous trouvons quelques con­sidérations s’y rattachant dans son "rapport sur l’enquête menée dans’ le Hoiznan’ à propos’ du mouvement paysan" (mars 1927), et plus précisément dans le dernier chapitre de ce rapport :
"Quatorze conquêtes importantes", le mouvement coopératif étant le’ treizième .
"Les paysans ont réellement besoin de coopératives, en par­ticulier de coopératives de consommation, de vente et de crédit. Lorsqu’ils achètent des produits, ils sont exploités par les commerçants, lorsqu’ils vendent leurs récoltes ils le sont en­core une fois ; enfin, quand ils empruntent de l’argent ou du riz, ils subissent l’exploitation des usuriers. C’est pourquoi ils sont vivement intéressés à la solution des problèmes d’achat, de vente et de crédit. L’hiver dernier, en raison des opérations militaires sur 1e Yang Tsé, les relations commerciales furent interrompues et le prix du sel monta dans le Hunan, les paysans organisèrent alors en grands nombres des coopératives pour l’achat du sel. Etant donné que les propriétaires fonciers refusaient
de prêter aux paysans, on assistait en de nombreux endroits, à des tentatives d’organisation des caisses de crédit. Le gros problème est l’absence d’un statut type détaillé pour de sembla­bles organismes. Créé localement sur l’initiative des paysans eux-mêmes, souvent elles ne correspondent pas aux principes des coopératives ; c’est pourquoi les camarades qui s’occupent du mouvement réclament avec insistance un statut. S’il bénéficie d’une direction adéquate, le mouvement coopératif s’étendra par­tout, à mesure que se développeront les unions paysannes".