Une théorie de l’autonomie du prolétariat
Richard Gombin

LA théorie des conseils avait commencé par être formulée en Allemagne pendant la période 1917¬1923. Mais c’est au cours des années suivantes,
30 et 40, qu’elle prend l’allure d’un système cohérent et cela, sans conteste, grâce à Pannekoek, qui ne faisait que reprendre et regrouper des éléments énoncés dans le feu de la lutte révolutionnaire.

L’idée des conseils se présente comme l’application stricte de la formule marxienne : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Elle s’articule autour de trois thèmes principaux : le parti révolutionnaire, les conseils ouvriers, la critique de la révolution russe.

La période qui commence avec la Première Internationale (années 1860) et se termine avec la première guerre mondiale avait été marquée par la volonté du prolétariat de se faire reconnaître par la bourgeoisie et de lui arracher d’indispensables concessions : une législation sociale, des augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail. La lutte parlementaire syndicale a été parfaitement adaptée à cette phase-là. Partis et syndicats furent donc les formes organisationnelles adéquates aux objectifs que la classe ouvrière s’était fixés. Mais, de même que ces objectifs étaient réformistes, les structures des organisations ouvrières étaient d’essence bourgeoise : elles supposaient la soumission des masses aux chefs et l’existence de structures extérieures à la classe

Au cours de la nouvelle étape historique marquée par la révolution russe de 1917 et celle d’Allemagne de 1918, ces structures deviennent un frein à la révolution, car le parti tend à s’ériger en maître du prolétariat. Les dirigeants des partis et des syndicats pactisent tout naturellement avec la bourgeoisie au pouvoir, se transforment même en garants de la perpétuation du régime capitaliste. Le prolétariat doit, par conséquent, se débarrasser de ses anciennes organisations qui sont devenues autant de chaînes, et se donner des struc¬tures nouvelles qui expriment son propre projet révolutionnaire.

Les grèves sauvages et les occupations d’usines

Ces structures, l’exemple des révolutions récentes est là pour le prouver, ce sont les conseils ouvriers. C’est-à-dire des organes de la volonté prolétarienne, des instruments de lutte révolutionnaire et, après la victoire sur le capitalisme, des organisations de base je la nouvelle société et de la nouvelle économie. Par les grèves sauvages, les occupations d’entreprises, écrit Pannekoek, les travailleurs se dressent contre leurs oppresseurs : les patrons, les syndicats, l’Etat. Ils élisent leurs délégués (révocables à tout moment) au sein d’un comité de grève qui représente alors le noyau du futur conseil. Mais c’est seulement l’apparition de celui-ci qui marque le début de la révolution.

Pour en arriver là, il faut que le prolétariat se dégage de l’emprise spirituelle de la bourgeoisie, qui est bien plus lourde que sa domination matérielle. Les habitudes de pensée, les coutumes, les préjugés, ne disparaissent pas facilement. Un travail de clarification, de propaga¬tion des idées conseillistes est nécessaire, et des groupes de travail doivent s’en charger. Faute de ce facteur spirituel, la révolution aboutira à une dictature de parti et non de classe, comme ce fut le cas en U.R.S.S. Là, les conditions matérielles (arriération économique) et spirituelles (existence d’une énorme masse paysanne) ont conduit à une révolution bourgeoise faite sur le dos du prolétariat. Une nouvelle classe exploiteuse, propriétaire « collectivement v des biens de production, s’est hissée au pouvoir Contrairement aux ’apparences, elle ne cherche pas à propager le communisme mais à étendre sa puissance internationale. Son régime social et économique n’est pas ie communisme mais le socialisme d’Etat, forme plus dure et plus exacerbée du capitalisme.

Telle qu’elle se présente, la théorie des conseils est loin de recueillir tous les suffrages de ceux-là mêmes qui se réclament de la tradition conseilliste L’existence de groupes d’avant-garde composés des éléments les plus « éclairés » ne laisse pas d’inquiéter certains. Surtout, cette théorie situe dans la production dans l’entreprise, le terrain exclusif de l’action révolutionnaire. C’est dire qu’elle n’est qu’une des composantes du mouvement qui revendique l’autolibération de l’individu des entraves qui pèsent sur tous les aspects de sa vie.
R. G.